Le message n’est pas essentiellement environnemental mais il est éminemment humain. Et plein d’espoir.

Rêveur Zéro - Garoupe
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Rêver est plus beau que d’être rêvé…

Des rêves se matérialisent dans la réalité de manière si tangible que même si toute trace de ces apparitions disparaît, leurs conséquences psychiques sur les témoins et physiques sur les « victimes collatérales » (quand bien même ces séquelles n’ont aucune réalité mais sont uniquement somatisées par ceux qui croient les avoir subies) subsistent. Une personne ayant été « amputée » d’un membre par l’effet d’un rêve ressentira l’amputation dans sa chair et dans son esprit alors que ledit membre est intact. Si tu crois mourir dans une apparition de rêve, tu meurs vraiment !

Petit à petit, les rêves matérialisés commencent à s’inscrire dans la durée…

Au début du récit, c’est l’inconscient des rêveurs qui s’immisce dans la réalité, s’y matérialise de manière éphémère. Les conséquences sont parfois violentes et importantes, mais elles restent des épiphénomènes. Jusqu’à ce que les autorités prennent conscience que des rêveurs tentent et parviennent à manipuler leurs rêves en toute conscience pour modifier de façon durable la réalité, que ce soit dans un but louable ou criminel.

Au fil de l’histoire, Elisa Beiram parvient à faire douter le lecteur de la réalité. En effet, celle-ci peut être contaminée par les rêves qui semblent bien réels. Ils sont tangibles, comme si l’esprit du témoin était trompé ou faussé à tel point qu’il participe à ce que le rêve devienne la réalité au détriment de celle-ci.

On ne peut qu’adhérer à l’idée que le rêve surgisse dans la réalité afin d’y amener du mieux, à tout le moins du différent. Mais comment réagir si le rêve devait supplanter la réalité ? Si les rêveurs ne devaient pas se réveiller et continuer à hanter la réalité à travers un avatar qui n’aurait plus conscience de n’être que cela, un avatar errant, une enveloppe vide ? Que se passerait-il si on les laissait libres de se liguer entre eux, de se livrer à des affrontements de rêves ?

Elisa Beiram traite cette épidémie de rêves comme une épidémie classique : pour trouver la cure, il faut trouver le patient zéro, le patient initial à l’origine de l’épidémie… Le rêveur zéro. Cette recherche se fait à travers le récit de quatre personnages centraux.

Il y a tout d’abord Zahid, un parisien qui participe à une étude sur les rêves. Il a fui le centre de recherche pour rentrer chez sa sœur, centre duquel tous les autres participants et le personnel scientifique ont mystérieusement disparu. Il y a Alma, une des scientifiques du centre de recherche sur les rêves, absentes du centre au moment des disparitions, dont l’appartement a brûlé et qui part à la recherche de Zahid pour tenter de comprendre ce qui s’est passé.

Il y a Janis, le frère d’Alma, qui travaille dans une start-up développant des bases de données pouvant permettre de comprendre voire d’anticiper le phénomène des rêves, et qui s’interroge sur ce qu’il doit faire de ses connaissances informatiques.

Il y a Philipp, un policier en charge de l’enquête sur les disparitions, forcément en lien avec l’épidémie de rêves, qui se retrouve enrôlé dans la recherche du rêveur zéro et qui se lance sur la piste de Zahid, avec Alma.

Vous avez donc les quatre typologies de personnages nécessaires à la compréhension du phénomène : le policier pour y remettre de l’ordre, le data-scientist et la scientifique pour étudier sa propagation, le rêveur pour le symboliser. Les personnages d’Elisa Beiram remontent la piste du rêveur zéro à travers le récit de 18 jours et 18 nuits, à partir de l’apparition du premier rêve et de la disparition du rêveur zéro.

Par petites touches, elle plonge le lecteur dans un monde qui n’a rien de post-apocalyptique, qui ressemble férocement au nôtre, comme si ce qui manquait dans notre monde moderne c’était la « Beiram’s touch » : l’immixtion des rêves. Elisa Beiram propose une idée simple : laisser libre cours à nos rêves. Mais, Elisa Beiram n’étant pas Dieu, elle est contrainte de laisser l’être humain s’emparer de son idée pour en faire ce qu’il veut et non pas ce qu’il faudrait… Et c’est bien là que le bât blesse.

Elisa Beiram utilise le concept de rêveur lucide pour qualifier ces personnes qui maîtrisent leur cycle de sommeil pour générer les rêves de leur choix dans la réalité. Mais s’ils sont effectivement lucides dans le sens de conscients de ce qu’ils font, ils n’ont pas la lucidité de saisir les enjeux de leurs actes. Ceux-ci se résument finalement à tenter de faire prendre conscience à l’humanité de ses propres perversions, de ses limites, de ses erreurs. Et c’est finalement déjà énorme. À travers les interactions de leurs rêves sur la réalité, ils ne cherchent pas tant à modifier cette réalité qu’à inciter l’humanité à prendre conscience de son action sur l’environnement et donc sur elle-même.

Le message n’est pas essentiellement environnemental mais il est éminemment humain. Et plein d’espoir.

Garoupe

Publié le 2 juin 2021

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