Il semblerait que nous n’ayons pas eu tous les éléments de l’histoire, au moment de la trahison de Jésus par son apôtre Judas. En tout cas, on nous a raconté quelque chose, mais cette version n’avait rien à voir avec celle que Judas l’Iscariote a vécu. Cela fait maintenant 2000 ans qu’il erre, condamné par le don de l’Esprit Sain à l’immortalité, incapable de mettre fin à ses jours malgré ses tentatives quotidiennes, portant avec lui le poids de sa trahison involontaire – il obéissait à un ordre venu d’en haut – et désespéré à l’idée de ne jamais revoir l’amour de sa vie, Jésus.
Judas, dit aussi Monsieur J, vit à Rome, dans une communauté de marginaux, de sans-abris et autres rejetés de la société. Il vivote, aide son prochain, guérit un peu les blessés, bénit, bref, il fait le taf d’apôtre sans trop savoir ce que deviennent les autres. Enfin, il y en a bien un dont il n’a pas perdu la trace, c’est Simon dit Pierre, le petit fayot, devenu chef de l’Église et travaillant main dans la main avec chaque Pape. Marie de Magdala, elle, tient sa promesse et veille sur les filles du fils de Dieu, de bordel en maison close depuis les siècles des siècles. Et tout pourrait continuer comme cela si, un beau jour, ne tombait pas entre les mains de l’Iscariote un disque d’argile gravé de sillons, contenant une étrange Évangile, celle de Satan, ainsi qu’une mission visant à démasquer le Tout Puissant. Pour Judas, c’est le seul moyen de retrouver son grand Amour.
Et nous voilà parti pour plus de cinq cents pages de rebondissements rocambolesques, d’aventures incroyables, entre super-héros, Indiana Jones et Pieds Nickelés. On y retrouve Lazare, mais également le fameux Commando Pascal, formé de cinq apôtres justiciers à la boussole éthique parfois un peu étonnante. En somme, on joue avec la Bible et l’histoire religieuse comme avec n’importe quel matériau de pop-culture et cela fait grand bien. Un texte ne devrait jamais être suffisamment sacré que l’on ne puisse s’en emparer et le plier selon nos fantaisies. Et puisque actuellement les enseignements du texte sont clairement dévoyés, autant créer nos propres interprétations, jouer un peu avec les icônes.
C’est une joie de voir une rédemption pour la figure tant honnie de Judas, de voir une histoire d’amour aussi belle traverser les siècles mais aussi de retrouver les premiers personnages à être choisis par le Christ : les pauvres, les prostituées, les misfits, en somme. Au travers de cette épopée foutraque j’ai retrouvé plus de valeurs chrétiennes que dans toute ma scolarité dans une école primaire catholique. Nonobstant, il était quand même plutôt utile d’avoir pris un cours sur les trois monothéismes à la fac – oui, je suis une femme pleine de surprises – car l’accumulation de références est assez dense. Au final, on se plaît à cheminer aux côtés de ces cinglé.es d’apôtres et leur quête quasi impossible, jusqu’à l’avènement de l’Apocalypse – oui oui, celle selon Saint Jean. On finit un peu fatigué.es, mais ça valait la peine.