En refermant le livre, un puissant sentiment s’empare de nous : celui d’avoir traversé un récit excessif, haletant, hors du commun, mais profondément ambitieux.

La Dernière Tentation de Judas - Les mots délivrent
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Une réécriture de la Bible version punk qui revisite l’histoire du traître le plus célèbre de la chrétienté, il fallait oser, Philippe Battaglia l’a fait. Publié aux éditions l’Atalante début 2025, La dernière tentation de Judas est un roman rock’n’roll qui réinvente la fin de Judas l’Iscariote. Au lieu de finir pendu à un arbre, il erre sur Terre depuis deux mille ans, hanté par son ultime trahison dans une vie qui n’en finit pas.

Depuis deux millénaires donc, Judas traîne sa malédiction comme un boulet bien ancré à la cheville. Sa culpabilité ne s’est pas allégée avec les siècles, au contraire : elle s’est sédimentée dans sa mémoire, incrustée dans sa chair. On découvre rapidement que son errance n’est pas seulement spirituelle, mais aussi sentimentale, car Judas aime profondément Jésus. Et c’est pour cet amour là, charnel, qu’il se remet en marche après la découverte d’un évangile apocryphe écrit par Satan lui-même. de ce fil rouge, Battaglia déroule une pelote narrative riche et hallucinée qui nous transporte des rues sombres de Rome au luxe tapageur du Vatican, en passant par des tombeaux exhumés ou des rooftops new-yorkais. On pourrait croire que ce foisonnement pourrait s’écrouler sous son propre excès, mais l’auteur réussi à tenir son propos avec une énergie romanesque impressionnante.

L’écriture de Philippe Battaglia est nerveuse et jubilatoire. Sa prose est hyperactive, les dialogues sont truculents, le texte est truffé de références bibliques, de clins d’oeil à la pop culture, ça fuse dans tous les sens à la manière d’un scénario de Guy Ritchie, les scènes de baston sont dignes d’un Tarantino et la galerie de personnages semble tout droit sortie de Dogma. Un délice !

Cependant, malgré son humour trash et irrévérencieux, Battaglia n’oublie pas d’adopter un ton plus sérieux sur les sujets de fond. Son œuvre parle avant tout de foi et d’amour, sans jamais tomber dans l’idéologisme ni le cynisme. Il interroge la place des individus, ceux qui sont laissés pour compte, les oubliés, les gueux, les rejetés. Il oppose la froideur des institutions à la chaleur des marginaux et rappelle sans cesse que la foi, la vraie, c’est celle qu’on place dans les individus. C’est un texte qui nous parle de rédemption, de pardon, de fragilité, mais surtout, d’amour. Et que devient la foi lorsqu’elle se résume à l’amour d’un seul être ? Cette question vertigineuse, c’est le moteur même du personnage de Judas et de toute sa trajectoire narrative. Il en devient un être tragique, bouleversant, humain.

En refermant le livre, un puissant sentiment s’empare de nous : celui d’avoir traversé un récit excessif, haletant, hors du commun, mais profondément ambitieux. Passée la lenteur des premiers chapitres, La dernière tentation de Judas offre une expérience de lecture terriblement originale et audacieuse. Philippe Battaglia signe un roman farouchement intime, un texte qui navigue tour à tour entre le sacré et le profane, entre démesure et émotion, entre humour et pondération. C’est dans cette tension constante que naît sa force. C’est un roman qui ne ressemble à aucun autre et dont je vous recommande chaudement la lecture si vous n’avez pas froid aux yeux.

Publié le 21 novembre 2025

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