Il rentre dans mon top de ceux à amener sur une île déserte.

La Dernière Tentation de Judas - Eli Palimpseste
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Le prix Utopiales 2025 est décerné à Philippe Battaglia pour La dernière tentation de Judas qui est, à mon humble avis, un des très grands romans du XXIe siècle. « Roman » d’ailleurs, c’est trop réducteur… On devrait dire quoi pour une pépite pareille ? Entre évangile apocryphe et série B, entre la Bible et un tract punk, le voilà bien inclassable et c’est ce qui le rend déjà culte.

Rome, de nos jours. Les Apôtres sont toujours en vie, normal, ils ont reçu le Saint Esprit pour évangéliser le monde. 2000 ans qu’ils prêchent, et accessoirement se font martyriser au sens propre (écorcher vif, brûler, écarteler, décapiter, pendre, énucléer, noyer…), ce qui peut leur faire perdre accessoirement la boule, comme Saint Philippe enfermé plus de 1000 ans dans un sarcophage en Anatolie après sa lapidation et une joyeuse crucifixion tête en bas avant que Saint Pierre ne le retrouve. Des douze - ou treize ? - apôtres, il y en a un en particulier qui se mord les doigts ou ce qu’il en reste ; notre bon Judas dit Le Traître, l’Iscariote, mais aussi l’Amoureux car dans « La Dernière Tentation », il fut l’amant de Jésus. Comment une telle passion a-t-elle pu être vendue pour trente malheureux deniers ? Judas a-t-il vraiment trahi Jésus ? En tout cas il rumine depuis tout ce temps et se suicide quotidiennement - ce qui n’est pas très catholique - puis se confesse le lendemain pour garder une forme d’équilibre au grand dépit du prêtre forcé à l’écouter. Il vit en paria dans les bas-fonds de la ville papale, quand il apprend l’existence d’un Évangile pas comme les autres, présentant le nouveau Testament sous un jour nouveau. Accompagné de ses amis, il cherchera cet Évangile apocryphe et les Trente Deniers, en espérant restaurer son Amour et éviter l’Apocalypse. À noter : tous les Apôtres ou Immortels n’ont pas le même but, pour certains la quête de Judas remet en cause l’existence de l’Eglise, il serait donc plus prudent d’y mettre un terme, et rapidement.

Autre cadeau sympa, le Don. Celleux qui l’ont reçu du Christ peuvent accomplir des miracles assez chouette, comme soigner les blessures, influencer les esprits faibles ou lancer des boules d’énergie de la Foi façon kamehameha. Et là, j’ai littéralement vibré, lorsque les démons attaquent nos héros et se font châtier dans un grand feu d’artifice. En quatrième de couverture, l’éditeur et l’auteur nous rappellent « qu’après tout, la Bible c’est de la pop culture », le récit racine d’autres histoires qu’on ait envie d’y croire ou pas, qui parle à tout le monde, qui nourrit notre imaginaire. Alors vous croiserez superposés dans ce texte des extraits de la Bible et de ses Évangiles, avec Paul Verlaine, Warren Ellis, David Fincher (obligé !), The Doors, Jean Rostand, Quentin Tarantino pour les bastons phénoménales ou Neil Gaiman, mais lisez et creusez, ça fait partie du jeu de piste de « la dernière tentation » de traquer les références.

Tendrement blasphématoire et irrévérencieux sans être irrespectueux parce qu’il témoigne d’un travail sérieux, queer, pop, avec une mise en page et un travail éditorial parfait, je l’ai offert et lu par trois fois déjà, et je vais continuer parce que Philippe Battaglia a fait naître le Livre des Livres, et qu’il rentre dans mon top de ceux à amener sur une île déserte. Et Clou sur le Crucifix de la satisfaction : une expérience de jury incroyable, en tout petit comité avec l’animation de Nicolas Martin ; merci aux Utopiales pour leur confiance et cet événement formidable.

Une mention spéciale à Lazare le Ressuscité hypocondriaque, sans qui cette quête ne serait pas possible, et au Commando Pascal qui a plu à tous les lecteurs avec ses regards fous et ses accoutrements d’allumés illuminés.

Publié le 27 novembre 2025

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