La Dernière Tentation de Judas est un roman brillant et d’une audace rare

La Dernière Tentation de Judas - Aldorus Berthier
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Je ne sais pas vous, mais moi la Bible et sa mythologie j’y connais que pouic. Alors quand on me présente 520 pages de roman d’espionnage religieux où des apôtres immortels arpentent la terre armés du Saint-Esprit au creux d’une uchronie où Judas aurait été en couple avec Jésus, qui en plus a gagné le prix Utopiales 2025, je vous le dis banco : moi il y a de quoi me retourner le cerveau.

Philippe Battaglia à Hollywood

Quand on connaît ses petites bases bibliques, Judas évoquerait tout de même difficilement autre chose qu’un traître patenté qui te vendrait facilement pour trois balles, un Mars et pis s’en va. En définitive, revisiter le personnage pourrait impliquer deux travers dans lesquels il serait assez facile de tomber : trop se faire l’avocat du diable d’une part, tomber dans la provocation gratuite d’autre part.

Battaglia offre peut-être assez paradoxalement à l’Iscariote un espace de parole et une complexité trop souvent négligée, il demeure fermement ancré dans un paradigme imaginaire qui jamais ne le prend en défaut. Il sait jouer des codes de la pop culture pour faire évoluer ses personnages et son univers avec une maestria hollywoodienne. La Dernière Tentation de Judas se vit parfois comme un blockbuster livresque, qui en occulte assez brillamment les défauts (grandiloquence des scènes d’action, sentimentalisme parfois un peu forcé…) pour n’en laisser voir que les qualités.

Osez me dire que ne vous viennent pas des flashes de Pulp Fiction dans ce kaléidoscope de décors exposés dans toute leur crudité. Que cette chasse à l’homme sous couvert de complot religieux ne vous feraient pas vous demander si Da Vinci Code n’était pas si génial que ça (spoilers : non.). Que ne vous démange pas l’idée de voir transposée sur grand écran une présentation à la Snatch des cinq apôtres composant le Commando Pascal une fois menée à bien sa première opération. Vous ne le pouvez pas, c’est pas possible.

Philippe Battaglia à l’Académie Française

Et je vous parle de tout ça, paf : vous vous dites que Battaglia se paye un peu notre portrait et que tout ce charivari ne consiste qu’à étaler des excréments stylistiques sur les murs. Ce serait mal le connaître – bon j’avoue ne pas plus le connaître personnellement qu’enrichi d’une minute de dialogue pendant sa dédicace mais vous voyez l’idée. Parce que Battaglia sait raconter sans alourdir, expliquer sans assommer, questionner sans perdre le lecteur ; en somme, La Dernière Tentation de Judas repose sur une écriture limpide, parfaitement dosée entre dérision, sophistication et spontanéité.

Le susnommé Judas en parcourt l’intrigue balloté entre ironie et humour noir, cruel certes mais jamais gratuitement. Une bonne partie de la mythologie biblique en prend pour son grade dans ce roman, sans toutefois la moindre complaisance. Un peu comme ton meilleur ami catho qui te balançait vanne sur vanne sur les athées au lycée – si si je te jure ça existe. De Lilith en épouse originelle d’Adam aux descendants de Caïn, Battaglia brasse large en témoignant d’un véritable travail de recherche sur son sujet. Ce qui ne légitimise que davantage l’ironie dans laquelle il le baigne…

Philippe Battaglia à la cour des miracles

Et pour parvenir à concilier ce trait de caractère avec une liberté de ton résolument punk comme celle de Battaglia, il en faut. À l’instar de Christophe Siébert, son intrigue navigue aussi librement dans les hautes sphères de la société que ses recoins les plus puants et mal famés. Qui demeurent malgré tout, a contrario de Siébert pour le coup, les espaces les plus chaleureux et solidaires de tout ce qu’il veut bien en montrer. Passer avec si peu de cérémonies d’une orgie cléricale aux ténèbres d’un hangar désaffecté occupé par des sans-abris dans le besoin, ça fait quelque chose je te jure.

Une liberté de ton résolument punk en phase, en revanche, avec ses préoccupations militantes (oui, on parle bien d’un roman LGBT au cas où, pour les deux du fond là-bas…), malgré leur discrétion. Et c’est peut-être là le principal tour de force de Battaglia dans La Dernière Tentation de Judas : c’est un roman woke sans être un roman woke. Non pas en regard des engagements de l’auteur bien sûr, mais simplement car l’homosexualité y est contextuellement une norme – non sans les tabous sociaux gravitant autour, évidemment – n’appelant pas de justification systématique des caractères concernés. Et en tant que rédacteur LGBT, je peux te dire que ce genre de positionnement pour en parler est un vrai bonheur à parcourir quand c’est bien déployé sur plus de 500 pages.

Verdict : Philippe Battaglia au Panthéon

En refermant La Dernière Tentation de Judas, tu as comme la sensation d’avoir traversé un texte habile – Bill – et paradoxalement lumineux en regard de son sujet. Car tu as beau l’avoir lu facilement, il te laisse quand même une empreinte durable – cette impression que ton ancêtre de Néanderthal était venu danser une samba naturiste juste sous tes yeux. T’as pas compris ce que je viens de dire ? T’inquiète pas, mois non plus.

La Dernière Tentation de Judas est un roman brillant et d’une audace rare, qui s’est dépêtré de tous les risques que pouvait impliquer la simple existence de son idée. Battaglia y revisite la figure de l’Iscariote avec une acuité certaine, qui le réhumanise bien plus qu’il ne prend le risque de le réhabiliter. Une lecture dont tu ne sortiras réellement pas indemne pour le coup, car elle te donnera des envies de film de Guy Ritchie avec Keanu Reeves Philip Seymour Hoffman et Sigourney Weaver dans le rôle de Marie Magdalène à l’affiche !

Ce roman est pour toi si…

  • Tu es catho et t’as envie d’un bon gros shoot de dérision envers ta religion qui ne franchit jamais la ligne rouge ;
  • Tu es athée à tendance prosélyte et tu veux un bon gros shoot de dérision envers cette religion que tu te complairas à considérer comme franchissant systématiquement la ligne rouge ;
  • Tu es agnostique et tu t’en fous, tu veux juste kiffer un bon gros thriller fantastique profond, marrant et super rythmé ;
  • Tu es d’une autre religion et tu veux un cours d’histoire biblique gratos généreusement parsemé d’une ironie blasphématoire dans le plus pur respect de son matériau d’origine.
Publié le 24 novembre 2025

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