Le roman «La dernière tentation de Judas» passe les Évangiles à la mitrailleuse tarantinesque. Derrière la farce, une réflexion habile sur les religions.

La Dernière Tentation de Judas - 24 heures
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Philippe Battaglia a fait confiance à Judas. Qui s’en étonne? Les Montheysans le savent depuis belle lurette, l’enfant du pays aime les vilains gamins, le nom de l’association sous l’égide de laquelle il a fait trembler la vie culturelle locale. Il serait lui-même un «mauvais garçon», prévient un tatouage sur son torse. Rien de plus logique, donc, que l’écrivain ait choisi pour héros de son troisième roman le gredin ultime, le salopard biblique, le traître avec un grand T et, si l’on en croit sa description, un joli petit q.

Bien lui en a pris. La dernière tentation de Judas a séduit les éditions l’Atalante en beaucoup moins de temps (quinze jours de réflexion) qu’il a fallu à Battaglia pour nouer son épopée apocalyptique (mille huit cents jours de boulot, dont une moitié de nuits au rythme des biberons). Vrai que le chroniqueur de la RTS, de «Vigousse» et depuis peu de «Femina», a mis les doigts dans un sacré pataquès: le Nouveau Testament plus un gros bout de l’Ancien, l’Apocalypse en sus. Soit, à la louche, le début de l’humanité et la fin des temps, avec au cœur de ce thriller gnostique la trahison de Judas envers Christ, son grand amour dans tous les sens du terme.

Jésus gay

«À l’origine, c’est une simple idée en note de bas de page: et si Jésus et Judas avaient été amants? Et si cela expliquait le geste de ce dernier? Je pensais faire un roman court.» Cinq cent trente pages plus tard, l’Évangile selon Philippe B. rejoint ceux, apocryphes, de Thomas, Marie, Pierre et… Judas, texte découvert en 1978 dans lequel l’Iscariote est dépeint non pas comme un traître, mais comme un disciple spécial choisi par Jésus pour accomplir son rôle dans le plan divin. Dans le roman, c’est plutôt contre son gré que Judas aurait été berné par Dieu lui-même, éternel insatisfait et sacré jaloux.

«Judas est un personnage assez fascinant. Il est pointé du doigt depuis deux mille ans pour avoir trahi le Christ, tout ça pour 30 deniers? Ça me semblait un peu faible, comme excuse. Il doit y avoir autre chose.» Pour inventer sa propre gnose, l’écrivain imagine des traîtrises dans la trahison, des énigmes dans le secret, lançant les douze apôtres – que leur mission a condamnés à l’immortalité – dans une course-poursuite autour du monde entre Rome et Saint-Maurice, New York et la Tanzanie. Les passages sanglants ne manquent pas de la part de l’éditeur en chef de Gore des Alpes, collection joyeusement trash, et situent cette «Dernière tentation de Judas» à l’improbable intersection entre les univers de Quentin Tarantino, Dan Brown, Dan Simmons et Valerio Evangelisti.

Dieu imparfait

Mais derrière la farce tragicomique et l’irrévérence punk, Battaglia déroule une réflexion plus ambitieuse, une trame plus complexe qui, dans ses rebondissements en cascades, explicite ce besoin de confier à des divinités – aussi quérulentes, injustes et ambiguës soient-elles – les clés de notre humaine condition. Pour façonner à son image une créature à ce point imparfaite, Dieu doit lui-même ne pas être exempt de quelques défauts…

«De manière générale, je trouve les religions fascinantes. Les fondamentaux moraux de notre société judéo-chrétienne viennent de commandements qu’un homme aurait reçus d’une entité invisible il y a des millénaires. Comment une explication du monde prend le dessus sur une autre? Mon livre est une histoire qui parle des histoires. Certaines, comme les quatre évangiles canoniques de la Bible, sont choisies plutôt que d’autres et deviennent des dogmes incontestables. En 2022, la révision de la Constitution valaisanne n’a quand même pas réussi à virer de son préambule «Au nom de Dieu tout-puissant!»

Sacré Valais

Le Valais, justement. Adolescent à crête punk puis objecteur de conscience, récemment apostat, l’écrivain de 43 ans affiche une rébellion tenace dans un canton durablement conservateur. «J’ai fait mon école de commerce chez les bonnes sœurs! Elles sont parties avec moi, quand j’ai eu mon diplôme.» Régler ses comptes avec Dieu dans un roman est-il une façon de solder un passé enchâssé dans le catholicisme? «Pas du tout. Je n’ai pas écrit ce bouquin par provocation, au contraire. À chacun sa croyance, tant qu’on ne l’impose pas aux autres.» Et la relation homosexuelle entre Jésus et Judas? «La Bible ne dit rien sur la sexualité de Jésus, donc pourquoi pas? Si des gens ont un problème avec ça, cela signifie que l’homosexualité est à leurs yeux un problème. Dans ce cas, c’est à eux de se remettre en question.»

Lui-même n’a pas recouvré la foi au fil de ses cinq années d’écriture. Ou plutôt, si. Une divinité très humaine, prénommée Zelda, est entrée dans sa vie. «On n’a pas besoin de croire en Dieu quand on a un enfant – déjà, on n’a plus le temps. (Il réfléchit) Sa naissance n’a pas changé mon rapport à la foi, mais elle m’a fait changer la fin du roman. Un personnage était enceinte, et il devait arriver des choses à son enfant… qui n’arrivent plus. Il y a des trucs que je ne voulais plus imaginer. J’ai raconté l’histoire autrement. En mieux.»

 
Publié le 15 avril 2025

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