Formidable porte d’entrée vers la saga des Archives des Collines-Chantantes, ce premier tome est une lecture obligatoire pour tous curieux souhaitant s’émanciper des tropes classiques de la fantasy européenne, pour les amateurs de fantasy vietnamienne et pour les inconditionnels des œuvres de Nghi Vo !

Des mammouths à la porte - Les Mille Mondes
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Il est si rare d’avoir accès à de la fantasy d’inspiration vietnamienne que je me suis empressé de découvrir et de lire ce très beau premier tome des Archives des Collines-Chantantes de Nghi Vo : L’Impératrice du Sel et de la Fortune ! Un court roman qui offre une histoire belle et apaisante au sein de l’empire Anh : un Việt Nam de fantasy parsemée d’abbayes, de fantômes et de neixins (esprit à l’apparence d’oiseau et à la mémoire infaillible) ! Nghi Vo continue de nous parler d’elle à travers le parcours de l’archiviste Chih et la vie palpitante de Lapin au sein de l’empire. Les histoires et les secrets se révèlent au gré des objets trouvés et des souvenirs narrés de Lapin à l’adelphe Chih. Tout au long du roman, une autre fantasy se dévoile en filigrane, une fantasy vietnamienne, une cosy fantasy, multiple, aux influences variées, un reflet de la longue histoire de ce pays du Sud !

L’archiviste, un Lapin et une impératrice

Un mariage politique force In-yo, jeune femme de sang royal, à s’exiler au sud, dans l’empire Anh. Ses frères sont morts, son armée et ses mammouths de guerre reclus derrière les frontières qu’elle a dû abandonner. Seule et humiliée, elle doit choisir ses alliés avec circonspection. Lapin, une jeune servante vendue au palais par ses parents, se prend d’amitié pour la nouvelle épouse de l’empereur.

Bien des années plus tard, à Fortune-Prospère, l’adelphe Chih et sa neixin Presque-Brillante interrogent la domestique au crépuscule de sa vie sur les divers objets peuplant sa maison. Leurs origines forment une histoire apocryphe sur l’impératrice et l’empire jusqu’alors ignorée.

Des archives chantantes !

L’abbaye des Collines-Chantantes a des siècles d’existence. Le souffle du vent et le passage des saisons ne sont rien que des minuscules poussières qui s’amoncellent sur ces archives, plus anciennes que les plus vieilles dynasties et les premiers mammouths. Elles existent depuis l’aube des premières aventures, les adelphes y veillent aux côtés des plus fidèles neixins de l’Abbaye. Les archives permettront tôt ou tard à la vérité d’être révélée, nul besoin de se presser, il suffit de rester à l’écoute des bonnes histoires. C’est bien là le rôle de Chih, adelphe de terrain vouée à la bonne écoute, s’imprégner des foules, des ambiances et la sauvegarde des histoires du pays d’Anh. À la recherche des mémoires, des souvenirs et des contes à ne pas oublier (mais aussi de quelques repas gratuits), Chih s’aventure sur les routes impériales, prête à affronter les méandres et les montagnes du pays d’Anh. Les adelphes savent pertinemment qu’ils et elles ne pourront pas suivre la marche rapide du monde, leur rôle réside plutôt dans la récolte de ces moments de vie destinés à la postérité.

Chị ơi !

Chaque parcelle de l’œuvre est inspirée de la richesse linguistique et culturelle du Việt Nam. Chih est le personnage principal de cette saga, une personne non binaire dans son âme et jusque dans son nom ! La langue vietnamienne (Tiếng Việt), dans sa forme actuelle, chữ Quốc ngữ, est une langue avec un alphabet romain, à tendance monosyllabique, un système à six tons et aux mots invariables. Une autre particularité du vietnamien est l’importance donnée au bon emploi de chaque pronom personnel pour parler à telle ou telle personne selon son âge et sa position familiale. Il existe ainsi une multitude de pronoms, dont vous pouvez avoir un bon aperçu grâce à ce livre. L’autrice utilise le pronom chị (« grande sœur » ) comme un nom propre pour Chih, un personnage dont la non-binarité va de pair avec sa situation d’adelphe.

Tout un monde de fantasy se dévoile à la lecture de ce premier tome, un monde à la fois lointain et proche grâce aux références disséminées à travers les pérégrinations de Chih : les multiples noms du pays d’Anh (un pronom dans la langue vietnamienne signifiant « grand frère »), le conflit entre le Nord et le Sud, les influences des colonisations successives, le lac et les tortues, et d’autres que je vous laisse découvrir au fil des pages !

Ce n’est que le début !

Publiée en langue anglaise depuis 2020 chez TOR (appartenant au groupe Macmillan, pour les curieux et curieuses, attentifs au jeu des maisons), puis chez la maison nantaise l’Atalante à partir de 2023 (traduit par Mikael Cabon), la saga compte déjà 4 tomes en français et un de plus en anglais, qui, je l’espère, ne tardera pas à arriver dans nos contrées !

Le Việt Nam et la littérature de l’Imaginaire

Nghi Vo n’est pas la seule autrice à naviguer au sein des inspirations vietnamiennes. Je pense ici à Aliette de Bodard, Brandon Hoàng et Trung Le Nguyen. Des autrices et auteurs du Việt Nam et de sa diaspora (Việt kiều) expriment leurs joies, passions, souffrances, désirs, romances et imaginaires depuis maintenant des dizaines d’années. Du fait des parcours personnels, des migrations forcées et des déracinements, les histoires s’éveillent aux quatre coins de la diaspora (États-Unis, France, etc.). Certaines histoires ont comme protagonistes des Vietnamiens et Vietnamiennes tandis que d’autres livres sont écrits par des auteurs et autrices ayant des liens avec le monde vietnamien. Je remercie ici la blogueuse MagicalReads7 (Michelle, États-Unienne et Vietnamienne) pour son beau travail de recherche consacré aux nouvelles littératures vietnamiennes, je vous conseille vivement de consulter son blog !

L’impératrice des couvertures : Alyssa Winans

Que ce soit en version originale ou pour la version française, nous devons ces belles couvertures à Alyssa Winans, illustratrice pour la littérature, les jeux vidéos et certains des plus beaux Google Doodles ! Ses illustrations ont déjà sublimé d’autres œuvres de l’imaginaire mondial telles que la saga du Forever Desert de Moses Ose Utomi, certains livres d’Aliette de Bodard mais aussi de Becky Chambers, Annaliese Avery, Cate Glass et bien d’autres ! Les couvertures d’Alyssa Winans permettent de commencer à rêver bien avant la lecture, bien après la dernière page et avant le prochain roman.

Formidable porte d’entrée vers la saga des Archives des Collines-Chantantes, ce premier tome est une lecture obligatoire pour tous curieux souhaitant s’émanciper des tropes classiques de la fantasy européenne, pour les amateurs de fantasy vietnamienne et pour les inconditionnels des œuvres de Nghi Vo ! La mission de l’adelphe Chih et de Presque-Brillante va se poursuivre et va se heurter à quelques tigresses…

Publié le 30 janvier 2025

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