L’adelphe Chih a passé quatre ans sur les routes de l’empire.
Enfin, elle regagne l’abbaye des Collines-Chantantes, heureuse d’y retrouver un quotidien paisible, et de revoir Presque-Brillante, sa neixin adorée, qui avait dû rentrer plus tôt – pour une excellente raison ! Rien ne va toutefois se dérouler comme prévu. Alors qu’il arrive à l’abbaye, Chih découvre deux immenses mammouths devant les portes, qui menacent d’enfoncer les portes si les adelphes ne cèdent pas aux exigences de leurs maîtresses. Dans la bâtisse, l’heure est au deuil : leur guide vient de s’éteindre, tandis que le monastère est vide, la plupart de ses membres ayant rejoint une expédition urgente. Ru, camarade d’enfance de Chih, assume le rôle de Céleste, tandis que les neixin s’agitent dans la volière, en proie à l’inquiétude et à la tristesse.
Cet épisode de la vie de Chih revêt une importance toute particulière, puisqu’il marque son retour dans ce lieu mythique qui l’a vue grandir, et l’a formée à la tâche qui est aujourd’hui la sienne. Elle y retrouve avec bonheur Ru, cher à son cœur, mais se désole de la perte de son guide, Thien, à qui il n’aura pas pu dire au revoir. À travers les souvenirs, il évoque pour nous son enfance et la force des liens qui unissent. L’autrice s’attarde aussi plus en détail sur les neixin, entre quotidien et légendes qui s’attachent à leur histoire. Nous apprenons aussi à mieux connaître l’adelphe et sa personnalité si attachante.
Deux récits se croisent dans cette novella : la résolution du conflit qui couve, menaçant l’existence même de l’abbaye, et les souvenirs, le recueillement, le deuil qui accompagnent le décès d’un être aimé. Entre rire et larmes, entre tendresse et colère, entre amour et haine, Nghi Vo tisse une narration d’une grande subtilité, d’une profondeur remarquable et d’une beauté incroyable. L’écriture, toute en finesse, offre des instants de réflexion et de contemplation, au style indéniablement poétique et magistralement fluide. Elle parle avec infiniment de grâce de ces moments où la disparition d’un être tendrement aimé nous pousse à revisiter notre passé, à nous mettre à nu lorsque le deuil frappe. Le chagrin, la colère, les regrets, mais également la tendresse, les joies, l’amour de la vie traversent ce superbe récit.
Histoire sur les histoires, réflexion sur la mémoire, les affects, l’image que chacun d’entre nous renvoie aux autres, parfois semblable, parfois très différente, place des sentiments, des rôles que nous jouons et tenons dans notre vie et celle de ceux qui nous entourent, c’est encore une fois une novella sensible, portée par un style remarquable, qu’il nous est donné de lire et de ressentir. L’émotion est toujours présente, tant la forme et le fond se répondent pour offrir un texte envoûtant.
Sylvie Gagnère