On ne peut qu’applaudir sa prestation : Vestiges nous met vraiment dans les bottes d’explorateurs du futur découvrant des mystères qui les dépassent.

QuanTika - Clubic
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Il y avait longtemps que nous n’avions plus mis les pieds – ou plutôt les yeux – sur une œuvre de grande ampleur typée hard science. Nous nous rappelons avec plaisir de La Flotte Perdue, magnifique série déclinée en plusieurs spin-off, et orientée vers un réalisme pur et dur.

Quantika de la romancière suisse Laurence Suhner est du même acabit. Lancée en 2012 aux Éditions L’Atalante, cette trilogie a bénéficié en 2021 d’une belle intégrale de presque 1 600 pages. Le premier tome nommé Vestiges a d’ailleurs obtenu le prix Bob Morane et celui des Futuriales 2013, preuve de son excellente qualité.

C’est ce roman que nous allons décortiquer ici. Préparez-vous un bon café chaud et ressortez vos cours de physique du placard, ça va chauffer du côté de la planète glacée Gemma !

« Il se rapprochait de l’endroit. L’endroit exact où il avait vécu son… expérience. »

Quantika est un roman qui ne vous semblera pas très original au premier abord. Comme souvent en SF, l’humanité a transformé la Terre en un vaste dépotoir, au point qu’elle se doit de trouver un nouvel habitat pour reprendre les choses à zéro. Pas de bol, Mars reste trop inhospitalière pour faire office de maison de substitution au genre humain. C’est donc vers Gemma que se sont tournés les scientifiques et les corporations.

Située dans un système solaire pas trop éloigné, cette exoplanète affiche des similitudes avec notre bonne vieille Terre : une atmosphère respirable, une orbite qui reste en grande majorité dans la zone habitable, de l’eau… En bref, l’endroit serait presque sympa s’il ne faisait pas -15° en plein été. Mais vous connaissez le genre humain, tant qu’il y a de quoi grappiller un peu de ressources, le jeu en vaut la chandelle.

C’est donc sur Gemma que prend acte notre histoire, et on se rend vite compte que quelque chose cloche avec cette planète. Ça commence par un phénomène inexpliqué qui semble altérer l’espace et le temps en un certain point du globe glacial, situé juste sous l’antique vaisseau spatial des Bâtisseurs. Ha oui, peut-être avons-nous oublié ce PETIT détail : un vaisseau gigantesque surplombe Gemma, inerte, impénétrable et surtout pas d’origine humaine.

« Plusieurs relevés orbitaux ont révélé l’existence, dans le sous-sol, d’agencements suggérant une origine artificielle »

De fait, que serait un roman de SF sans extra-terrestres ? Dans Quantika, ces derniers se font très discrets, mais restent néanmoins présents en toile de fond. Sont-ils hostiles ? Sont-ils amicaux ? Difficile à dire tant l’auteure suisse avance lentement les pions de son histoire. On est sûrs d’une seule chose : Gemma a déjà été visitée par une forme de vie intelligente. Preuve en sont les artefacts détectés sous son épaisse couche de glace.

Sous l’égide de la CosmoTek, la docteure Ambre Pasquier va donc diriger une expédition qui vise à faire le jour sur les étranges signaux émis par les artefacts. Ce sera pour nous, lecteurs, l’occasion de faire connaissance avec cette femme a priori aussi froide que Gemma, et qui dissimule un secret peu scientifique. Elle est en effet troublée régulièrement par des rêves qui semblent l’appeler depuis les profondeurs de la planète glacée.

C'est d’ailleurs l’un des principaux pivots narratifs du roman, où la science se mêle au mysticisme. Bien que l’œuvre soit fermement centrée sur la hard science, elle n’en laisse pas moins une certaine place à d’autres enjeux et explications moins pragmatiques tirées de l’éducation hindouiste de notre héroïne. Laurence Suhner ne manque pas de jeter ainsi un certain trouble en mélangeant les vieilles légendes hindoues à une science occidentale plus rationaliste. Si cela vous interroge, rassurez-vous, on reste quand même sur de la SF bien velue !

« Les derniers mètres de roche ont été percés. Le moment est historique. »

Quantika est un roman qui prend son temps. Vous devrez donc patienter avant que les choses ne s’emballent. En fait, il faut plutôt voir ce livre comme un thriller intercalé au sein d’un space opera global. La romancière développe l’intrigue à petits pas, ce qui n’est pas du luxe compte tenu des nombreux personnages et factions en jeu : scientifiques, militaires, indépendantistes… Tout ce petit monde cherche à tirer la couverture de son côté, avec comme point central les artefacts aliens dissimulés dans le sous-sol de Gemma.

Ce n’est qu’au bout de 200 pages environ que l’exploration de l’exo-planète prend un nouveau tournant, lorsque le groupe scientifique mené par Ambre Pasquier parvient au Temple Noir. Et ce n’est que le début des ennuis. Les personnages – tout comme le lecteur - commencent alors à naviguer entre émerveillement et scepticisme. La dimension exploratoire du roman, poussée à son paroxysme est d'ailleurs une des grandes forces de Quantika.

Au fil des pages, on sent que les humains sont paumés face à un mystère qui les dépasse. Qui a construit ces bâtiments ? Quelle est la cause des bouleversements qui agitent le Point de Collapsus ? Ces incertitudes, ce petit côté « en fait, on est loin d’être intelligents… », font mouche !

« Je ressens la mort, la souffrance, la destruction planer autour de nous. C’est comme une grande vague qui s’approche, inéluctable, une apocalypse. »

Intéressons-nous maintenant d’un peu plus près aux personnages. Après tout, avec pas loin de 600 pages au compteur pour le premier volume de Quantika, nous sommes en droit d’attendre quelque chose d’assez touffu pour animer l’histoire. Deux psychés ressortent en particulier, à savoir celles d’Ambre Pasquier et de Hazel Delaurier. 

D’un côté, on a une scientifique froide comme la glace, solitaire et cassante. De l’autre, un baroudeur sûr de lui, tête brûlée et franc du collier. Deux personnalités antagonistes qui vont pourtant se rapprocher progressivement. De nombreux personnages secondaires orbitent autour de nos deux héros, plus ou moins importants. L’histoire reste néanmoins très centrée sur Ambre, qui est la seule dont on perçoit tout le panel de sentiments au travers de ses rêves prémonitoires, mais à laquelle on peut avoir du mal à s'attacher… Son côté froid, carapace qui renferme des sentiments profonds, est peut-être trop convenu.

Reste que c'est cette approche qui permet de faire avancer l’intrigue au fil des cauchemars réalisés par la femme au cœur de glace. L’auteure saupoudre d’ailleurs de temps en temps l’intrigue avec des flashbacks qui laissent imaginer ce qui va nous attendre au second tome de cette saga. Il semble en effet que le docteur Pasquier soit déjà rentrée en contact avec les extra-terrestre. Contact qui sera amené à se reproduire lors des événements décrits dans Vestiges.

« Du fond des âges, elle avait été la première à entendre l’appel de Iou-ké-da. »

Nous ne vous le cachons pas : vous allez vivre un sacré contact du troisième type à la fin de Vestiges, le premier tome de Quantika. Un échange que toutes les théories de Planck, Bose-Einstein et autres, disséminées dans le bouquin seront incapables d’expliquer, ni même d’effleurer. La fin de ce premier livre valait d’ailleurs toute cette attente - parfois un peu longue - et nous a mis largement en haleine pour commencer le second tome.

Est-ce qu’on vous recommande la lecture de Quantika ? Oui, du moins si vous êtes du genre patient, très patient. Très bien écrit, le livre de Laurence Sunher accuse pas mal de longueurs, qui se justifient par son orientation hard science et thriller. Il y a peu d’action, l’auteure préférant se concentrer sur l’ambiance amenée par l'exploration de la planète et de ses personnages. À cet égard, on ne peut qu’applaudir sa prestation : Vestiges nous met vraiment dans les bottes d’explorateurs du futur découvrant des mystères qui les dépassent.

Bonne nouvelle pour les amateurs et amatrices du genre : une suite nommée Ziusudra a été publiée après l'intégrale et sera l'objet d'une critique sur Clubic… L'occasion d'en découvrir davantage sur les Bâtisseurs et leurs secrets !

 

Publié le 19 juillet 2022