Entre hommage et modernisation, un roman puissant à la hauteur de ses ambitions

Spoor - Grand Central Arena - ActuSF
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Reprenez goût au sense of wonder et au space opera
 
 
 
Écrivain au parcours tortueux, Ryk Erik Spoor, né en 1962 dans le Nebraska, a acquis au fil des ans autant de diplômes divers et variés qu’il a exercé de professions. Aujourd’hui coordinateur en recherche et développement pour une entreprise de haute technologie, il est l’auteur d’une dizaine de romans et signe notamment aux États-Unis la série de fantasy Phoenix Rising. Avec l’arrivée de Grand Central Arena dans nos librairies, les lecteurs français vont enfin pouvoir découvrir sa plume talentueuse. Ce roman ambitieux, publié à l’origine en 2010, se propose comme un hommage à la science-fiction scientifique et émerveillée de l’Âge d’or et notamment à celle d’Edward E. « Doc » Smith, père du space opera – vous savez, ce sous-genre aujourd’hui délaissé de la SF dans lequel les lecteurs assoiffés d’aventures, de batailles spatiales et de politique intergalactique se confrontaient à la grandeur et aux mystères de l’univers…
 
 
 
 
« L’Arène […]. Les cieux infinis, les mondes qui flottent dans les nuages, la lumière et l’ombre […] C’est chez moi. Et chez vous, désormais »
 
 
 
 
Brillante pilote de course, Ariane Austin est recrutée par le professeur Simon Sandrisson pour intégrer l’équipage du Graal, premier vaisseau spatial capable de dépasser la vitesse de la lumière et par conséquent de voyager dans l’espace à une échelle jusqu’alors hors de portée de l’humanité. Mais ce qui devait n’être qu’un bref vol d’essai se transforme rapidement en une épopée vertigineuse : voici le Graal prisonnier de l’Arène, une structure gigantesque défiant l’imagination où se confrontent de milliers d’espèces extraterrestres intelligentes. Pas le temps de se remettre du choc de cette découverte : nos humains devront très vite faire preuve d’adaptabilité et d’audace s’ils espèrent un jour rentrer chez eux …
 
 
 
 
Entre hommage et modernisation, un roman puissant à la hauteur de ses ambitions
 
 
 
 
De la science (ou ce qui y ressemble), de l’action, de l’exotisme et surtout de la démesure : tous les ingrédients sont là, Grand Central Arena tient ses promesses en matière de space opera. Loin de présenter un avenir sombre et de donner corps à nos craintes socio-techno-écologiques, le roman est définitivement habité par cet optimisme, cet élan vers le futur et ses promesses qui caractérisaient la science-fiction de la première moitié du XXe siècle.
 
 
 
 
Mais il serait dommage de ne s’arrêter qu’à cet aspect nostalgique : Grand Central Arena ne se contente pas d’être un exercice de style pour nous redonner le goût de la SF de l’Âge d’or. Ryk E. Spoor actualise son hommage en n’oubliant pas d’y intégrer de nombreux tropes explorés depuis lors, notamment par les auteurs du courant cyberpunk – rôle de l’intelligence artificielle, nanotechnologies, transhumanisme… – sans pour autant verser dans l’inquiétude qui les accompagne habituellement. L’écrivain met également à jour son intrigue sur le plan scientifique et résout habilement les paradoxes engendrés par la confrontation des découvertes récentes en la matière avec les exigences du space opera : comment par exemple un auteur de science-fiction peut-il aujourd’hui justifier l’envoi d’un équipage dans l’espace quand nous savons désormais que son exploration passera par les sondes et les astromobiles contrôlés à distance ? Spoor a su trouver l’astuce pour répondre à cette question.
 
 
 
 
Le résultat donne donc un roman de space opera dense et moderne (d’aucun dirait au contraire post-moderne), maniant parfois des concepts abstraits assez difficiles à appréhender pour le lecteur – et ce pas qu’en termes de discours scientifique : la disposition de l’Arène en elle-même, bien qu’amplement décrite et schématisée, peut échapper à notre compréhension et surtout à notre capacité de représentation. Mais si l’on peine à garder le fil au début de l’intrigue, nous finissons, comme les protagonistes, par prendre nos points de repère et par nous familiariser peu à peu avec le titanisme des lieux, leur fonctionnement, leurs règles et leurs surprenants habitants. Peuplé d’une galerie de personnages hauts en couleur, bien rythmé, bien mené, le roman est si riche d’idées que l’on a presque une sensation de trop peu lorsque se profile la dernière page au détour d’un final haletant. Car à notre grand regret, Spoor n’explore qu’une infime partie de l’univers qu’il nous propose : on aimerait pourtant en savoir plus, par exemple, sur ces « sagesIA » dont sont équipés les humains, si nombreuses au début du roman mais qui, on le sent, ne constituent pas ce qui l’intéresse prioritairement ici. Une seule solution apaisera le lecteur enthousiaste qui se sera pris au jeu et qui désirera en savoir plus : vite, il lui faut la suite ! Heureusement, Spheres of Influence, le deuxième tome, est sorti en 2013 aux États-Unis…
 
 
 
 
Un livre pour ceux qui n’ont pas peur du jargon scientifique – qu’ils le comprennent ou non –, ceux qui apprécient le souffle épique et insouciant du space opera et pour les lecteurs de SF chevronnés.
 
 
 
Arianne Marquis
Publié le 1 février 2016

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