Bifrost

Le professeur Sandrisson, principal concepteur du moteur Sandrisson de la propulsion hyperluminique, décide de le tester lui-même dans l'espace puisque aucune sonde automatisée n'est jamais revenue attester de son efficacité. Parmi l'équipage recruté pour la circonstance, Ariane Austin, pilote chevronnée amatrice de courses de vaisseau spatial en espace confiné (où effleurer la paroi du tunnel est synonyme de catastrophe) et l'ingénieur Marc C. DuQuesne, dont on apprendra qu'il est un hypérion, guerrier doté de capacités physiques et intellectuelles phénoménales qu'il dissimule pour retrouver une forme d'humanité. À peine parti, le Graal est privé de sa propulsion, les IA embarquées ou implantées dans l'équipage étant également inopérantes : il est retenu dans un espace immense où échouent toutes les espèces extraterrestres disposant de cette technologie. Leur morphologie est typique du bestiaire de l'âge d'or de la SF. On ignore les raisons des concepteurs interdisant l'utilisation du voyage hyperluminique et des IA, mais quelques explications avancées, qui répondent aussi au paradoxe de Fermi, sont assez astucieuses. Les concepteurs ne sont jamais visibles, seulement audibles pour énoncer avertissements et sanctions et définir le cadre des défis que se lancent les factions qui s'affrontent au sein de l'Arène. Car pour bénéficier de certains avantages dans cette enceinte, voire disposer du nécessaire pour rentrer chez soi, il convient de s'affronter dans des épreuves, aux enjeux parfois conséquents pour l'espèce entière. L'équipage apprend sur le tas les règles du lieu et le comportement à observer selon les espèces, le plus souvent à la faveur de maladresses et de naïvetés, en faisant preuve aussi d'une irascibilité d'une rare inconséquence, que cette élite justifie par sa difficulté à garder son sang froid. Ainsi, suite à la bousculade par un BEM malotru d'une espèce encore jamais croisée, mais dont l'apparence devrait dissuader n'importe qui évoluant en milieu inconnu de répliquer, il est demandé sèchement de s'excuser devant la dame. Mais puisque l'Humanité ne se laisse jamais démonter, elle gagnera sa place au sein des espèces confinées là, c'est-à-dire tout en haut. 

On l'aura compris : il s'agit d'un hommage au space opera des origines, notamment à E. E. Doc Smith qui en est l'inventeur : un vaisseau est baptisé Fulgur et Marc C. DuQuesne est le nom d'un méchant de La Curée des astres, premier roman de Doc Smith en 1919. Autant dire qu'on y trouve de la grande aventure sans complexe, à la croisée de Stargate et Babylon 5 mais dans la façon des pulps, avec des héros d'une épaisseur psychologique inférieure au nanomètre et des ressorts convenus qui font passer les grosses ficelles de séries B pour des audaces postmodernes. L'intrigue générale ne manque pourtant pas d'attraits, on y trouve même quelques belles idées, et les pièces du puzzle s'emboîtent de belle manière ; en revanche, la manière de les amener est confondant d'amateurisme, de même que les dialogues destinés à délivrer des informations au lecteur, d'une artificialité qui échappe à la logique. Un seul exemple : dès les premiers pas effectués, tous sens aux aguets, dans une jungle extraterrestre peut-être occupée par des ennemis, le médecin du groupe lance un joyeux « Salut, toi ! » en s'accroupissant devant un scarabée qui passait par là, ce qui permet de mettre en garde sur l'écart possible entre l'apparence et la dangerosité. 

Premier volume d'une trilogie écrite par un surdiplômé, coordinateur en R&D d'une entreprise high tech, Grand Central Arena est un space opera on ne peut plus vintage, qui semble avoir été écrit en ces temps héroïques. Il ne reste qu'à reprendre les propos de Serge-André Bertrand en 1973, à propos du Premier Fulgur, deuxième de la série : « si vous aimez ça, vous en aurez ici pour votre argent. »

Claude Ecken

Publié le 3 mars 2020

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