Trop de constats brillants, trop de démonstrations synthétiques me semblant implacables, et surtout bien trop de punchlines, quasiment littéralement au rythme d’une par page, me forçant à faire un insupportable tri entre toutes les citations que j’aurais voulu inclure dans cette chronique. Mais bref. Pieds d’Argile est un petit chef d’oeuvre.

Pieds d'argile - Le syndrome Quickson
Article Original

J’ai encore mis trop de temps à m’y remettre ; les temps sont durs. Cependant, reprendre ce Tour du Disque avec un volume du Guet était sans doute la meilleure façon de le faire. Entre la confiance totale que je ressentais et les frissons d’excitation qui me venaient en pensant à tout ce que j’avais pu oublier et que j’allais redécouvrir, le cocktail était assez grisant.
Et de fait, si je savais pertinemment que j’allais adorer ce volume à l’instar de ses prédécesseurs, je n’étais absolument pas préparé à prendre mon pied à ce point-là, et dans tant de domaines différents. Ce que j’ai redécouvert, c’est sans doute, désormais, un de mes volumes favoris des Annales du Disque-Monde. Rien que ça.
Car encore une fois, j’avais oublié beaucoup d’éléments de ce roman, sans parler de tous ceux dont je me rappelais mais que j’avais mal situés ou mal évalués à cause du temps passé depuis ma précédente relecture. Ce que j’ai donc redécouvert au fil de celle effectuée pour ce Tour du Disque, c’est probablement le roman du Guet le plus abouti et le plus puissant dont s’est fendu Terry Pratchett pour le moment, confirmant sa constante montée en puissance au fil des rédactions de ses Annales. Tout en continuant à déployer les thématiques communes à ce Cycle, il commence à ouvrir quelques portes nouvelles afin d’éviter de se piéger pour les volumes à venir et risquer de tourner en rond, toujours avec l’espièglerie et la sagesse qu’on lui connaît.
Préparez-vous à lire beaucoup, beaucoup de compliments, parce que c’est tout ce qui m’est venu.

Je ne peux pas dire que j’aime beaucoup les nains, Petitcul. Mais je n’aime pas les trolls ni les hommes non plus, alors j’imagine que c’est normal.

Le Guet municipal d’Ankh-Morpork et son équipe décidemment de plus en plus hétéroclite a beaucoup de pain (de nain) sur la planche. Deux vieillards apparemment sans problèmes assassinés dans des circonstances étranges, le Patricien semble-t-il empoisonné de façon indétectable, il semblerait bien que la ville soit de nouveau en danger. Heureusement, le désormais commissaire divisionnaire Vimaire veille au grain, assisté de sa joyeuse équipe aux compétences aussi variées que parfois discutables.

Voilà ce qu’est désormais ta vie, commissaire divisionnaire Vimaire. Un flic parvenu pour les aristos, et un aristo pour les autres, hein ?

Vimaire, évidemment. Impossible de parler du Guet sans parler de lui, tellement il continue à éclabousser le roman tout entier de sa puissance narrative ; bien qu’il faille aussi constater que, le temps avançant, ce cycle laisse de plus en plus la part belle à une narration en chorale que j’apprécie tout particulièrement. Seulement, Vimaire cristallise et véhicule encore une fois trop des enjeux de ce roman pour ne pas attirer l’attention sur lui ; si les personnages secondaires prennent une place notable et plus qu’appréciable pour évoquer d’autres enjeux importants, c’est toujours Vimaire qui porte l’essentiel sur ses épaules, ce dont je ne peux décemment pas me plaindre. Ce roman est en partie axé autour de la question du rapport qu’entretiennent les pauvres et les riches à la société et entre eux. Or, Sam Vimaire, en sa qualité de commissaire divisionnaire, aux origines modestes, anobli par mariage, se retrouve à la jonction de ces deux mondes. Son regard evri, lucide, lui permet de poser les yeux sur ces deux univers si différents avec la même morgue et la même capacité d’analyse, vierge de tout jugement ou sentiment personnel ; ou du moins lui permet de s’en départir lorsque c’est nécessaire. Se concevant au service de la Loi et de la Cité uniquement, Vimaire n’est de fait pas vraiment un parvenu ni un aristocrate, il n’est qu’un flic avant le reste.
Mais si ce constat n’a, au fond, rien de vraiment nouveau, dans la droite continuité des tomes précédents du Guet, même, l’évocation fugace de la théorie bottière de l’injustice socio-économique tirée du Guet des Orfèvres au début du roman est à mes yeux un signe de la volonté de Terry Pratchett d’aller creuser encore un peu plus profondément à partir des bases déjà construites. Les démonstrations de beaucoup d’idées de l’auteur avaient été faites, il s’agissait de ne pas se reposer sur ses lauriers et d’en faire autre chose. Il confronte donc Vimaire et ses divers·es comparses à de nouvelles choses, confirmant d’un côté son statut unique au sein du système politique d’Ankh-Morpork, et l’évolution socio-politico-culturelle de la ville elle-même de l’autre. Encore et toujours, le Guet est un échantillon choisi, dont tous les personnages ou les aventures sont des symboles puissants et les vecteurs directs ou indirects des réflexions de leur créateur.

Tu peux être de n’importe quel sexe du moment que tu te comportes comme un homme.

Plus qu’un échantillon, on peut même affirmer que le Guet est un creuset, où Terry Pratchett expérimente encore et toujours les possibilités qu’offre un monde comme celui du Disque, allant chercher dans ses retranchements des extrémités qui peuvent évoquer notre réalité. Rien de nouveau en soi là non plus, mais pour autant, cette méthode a comme mérite de permettre de trouver des angles d’attaque nouveaux et précis à des sujets spécifiques qu’il aurait été malaisé de traiter de façon plus frontale. À cet égard, je dois ici prendre le risque de parler du caporal Hilare Petitcul, l’alchimiste nain qui vient renforcer les effectifs du Guet afin d’y apporter son expertise et y créer, de fait, un ersatz de police scientifique, à l’initiative de Vimaire ; casant d’ailleurs au passage l’équivalent med-fan du Zoom & Enhance dans le récit. Ce personnage dont j’avais un souvenir tendre, en l’espace de ce seul tome, s’est hissé parmi mes personnages favoris des Annales, à la fois pour ce qu’il était, mais aussi et surtout pour ce qu’il représentait.
Au cours de ce roman comme des précedents, Pratchett joue encore avec humour sur la nature complexe du genre chez les nains, dont tous les représentant·e·s portent la même barbe et les mêmes attributs et agissent donc avec beaucoup de prudence et un certain accès de pudeur pour s’assurer de l’hétérosexualité de leurs rapports amoureux ; d’autant plus que tout nain est présumé masculin. Alors forcément, quand Angua, grâce à son odorat de louve-garou, identifie Hilare Petitcul comme une femme, dont le statut de « mâle par défaut » est plus un fardeau qu’autre chose, ne correspondant absolument pas aux standards de son espèce, dans l’attitude comme dans les centres d’intérêt, le sentiment de sororité lui commande de lui venir en aide. Le caporal prend donc confiance en ses convictions naissantes et affirme sa féminité, jusqu’à devenir Hilaria Petitcul.
Là se situe la prise de risque. Le propos évident, frontal, de la relation entre Angua et Hilaria, c’est d’abord et avant tout un propos féministe. Les femmes dans le Guet, pour y être acceptées, doivent se comporter comme des hommes, jusqu’à une certaine limite qu’Angua, l’apprenant à sa collègue, n’arrive pas à appréhender. Ce qui n’est pas vraiment différent du reste de la société, mais correspondant à des codes propres à cette strate spécifique de la société Morporkienne. Mais dans la démarche qu’entreprend Hilaria, comme dans les réactions qu’elle suscite, je ne peux pas m’empêcher de voir un coming out. Dont je ne saurais honnêtement dire avec certitude à quoi Terry Pratchett, dans son ambition allégorique, voudrait le faire correspondre, craignant surtout de plaquer sur un récit vieux de 25 ans des réflexions autrement plus contemporaines, malgré leur nécessaire intemporalité ; dans le sens où les sujets abordés me semblent bien plus vifs aujourd’hui qu’il ne l’étaient à l’époque). J’aimerais y voir un propos assez pudique et bienveillant, bien que forcément incomplet malgré le temps qui y est consacré, sur la transidentité. Car plutôt que de s’emparer de codes féminins relativement archétypaux avec l’aide d’Angua, Hilaria, avant tout, se dépouille des codes archétypaux que son statut aurait dû lui imposer avant qu’elle se rende compte qu’ils lui sont insupportables. Faute de connaissances suffisantes et de légitimité sur ces sujets, je ne peux qu’émettre des hypothèses et m’arrêter là. Cependant, je suis sûr de pouvoir y lire un plaidoyer fort et indiscutable de Terry Pratchett pour l’auto-détermination de tou·te·s et le respect des décisions qui en découlent, ce qui est bien l’essentiel ; et qui explique l’esprit d’inclusivité du cycle du Guet, et donc pourquoi je l’aime tant.

Il faut parler pour ceux qui n’ont pas de voix.

À cet égard, d’ailleurs, tout comme Terry Pratchett s’appuie sur les dynamiques présentes dans les tomes précédents du Guet pour nourrir le présent roman, il s’appuie également sur celles d’autres cycles pour étoffer encore un peu plus Ankh-Morpork et sa population, et donc l’entièreté de son univers, par ricochet. On avait pu apercevoir une partie de la frange la plus marginale de cette population dans Le Faucheur, mais l’auteur décide d’aller chercher dans des franges encore plus réduites; avec notamment les golems ou le retour de P’tit Arthur le Dingue. Cela pourrait facilement passer pour une certaine facilité d’écriture, créant un certain sentiment d’exotisme supplémentaire à peu de frais, ainsi qu’une façon d’éviter de se répéter, mais je crois sincèrement que ce n’est pas le cas. Parce qu’avec ces nouvelles minorités au sein des minorités (Hilaria en étant un très bon exemple, au passage), Terry Pratchett illustre l’idée que les minorités opprimées sont incrémentielles, pas des blocs unis. Le fait de permettre à chacun·e de s’auto-déterminer et de trouver une place acceptable au sein de la société est un progrès constant à rechercher en éliminant chacune de ces oppressions les unes après les autres. Permettre à une communauté toute entière de « s’intégrer » ne sera jamais suffisant, puisqu’il y aura d’autres oppressions à dénicher et combattre au sein de cette communauté, autant qu’au sein de celle qui l’a accueillie.
Ainsi, on peut donc trouver différents schémas d’oppression en fonction des communautés, chacune victimes de leurs propres reproduction sociales et traditions délétères qu’il faut attaquer de front pour pouvoir donner des exemples de libération et de libre arbitre. Quand Hilaria fait tâche d’huile chez les nains, on commence à deviner la rébellion d’Angua contre les traditions lycanthropiques dans sa famille Uberwaldienne, ou Dorfl le Golem devient le premier maillon d’une longue chaîne de libération des golems lorsqu’il devient conscient de son statut et souhaite le changer ; pour lui et pour ses congénères. Les termes des oppressions, en elles-mêmes, ne comptent pas vraiment, à l’échelle du roman, même si elles ont une orientation progressiste et bienveillance assez évidente, faisant de l’empathie, de la capacité d’apprentissage et de celle de se défaire de ses préjugés des valeurs cardinales, comme il est de coutume dans les Annales.

Vu la manière dont on se sert d’eux, on en a peut-être peur parce qu’on sait qu’on le mérite.

Si le cycle du Guet était jusque là déjà très politisé, il prend dans ce volume une dimension sociale beaucoup plus importante ; puisqu’après s’être intéressé aux mécaniques de la richesse, Terry Pratchett s’attaque cette fois aux rapports entres les riches et les pauvres. Ou plutôt l’utilisation des seconds par les premiers. Autant dire qu’il ne prend pas vraiment de gants, en prenant des exemples très Disquiens mais dont le reflet rendu par le miroir déformant habituel n’est pas flatteur du tout. Là où les golems sont tout à la fois des références indirectes de Terminator et des robots esclaves sans volonté propre avant de pouvoir être libérés, ils sont avant tout des outils qui ont été fabriqués, dont on a peur, qu’on utilise avec scrupules. Et donc une minorité incrémentielle supplémentaire dans la masse gigantesque des gens pauvres qui se tuent au travail dans l’espoir de pouvoir au moins un petit peu pouvoir réellement vivre en dehors ; tout en sachant pertinemment que ce qui se passe, ce pourquoi on les utilise, et comment on le fait, ne devrait pas être.
Terry Pratchett présente Ankh-Morpork comme une entité capitaliste fort familière, tenant sa puissance non pas d’une quelconque force militaire ou d’un respect à l’international, mais simplement de sa main-mise sur la circulation des capitaux. Or, une telle puissance se construit bien sur quelque chose, et ce quelque chose, c’est le peuple, présenté ici comme une masse utile aux intérêts des puissants. La figure de Vimaire est d’ailleurs d’autant plus puissante dans ce contexte qu’il constitue le seul réel lien entre ces deux mondes ; les pauvres et les riches ne se côtoient presque jamais tant que les riches n’y trouvent pas un quelconque intérêt. Et pourtant, les pauvres sont les victimes collatérales ou les outils des conspirations, presque les jeux, des aristocrates, en recherche d’un pouvoir supplémentaire qui confère facilement au superflu ; puisque même lorsqu’ils perdent, ils sont toujours gagnants, ou au pire ne souffrent pas de réelles conséquences. Alors que les pauvres ont en permanence tout à perdre et ne peuvent se permettre le moindre écart ou la moindre indocilité envers le système. L’écho contemporain, là aussi, tape tout de même assez fort.

La royauté c’est comme les pissenlits. On a beau couper des têtes, les racines restent en terre et n’attendent que le moment de repousser.

Et à cet égard, Terry Pratchett s’attaque à un autre thème qui je pense, était beaucoup plus délicat à aborder au Royaume-Uni, à savoir celui de la monarchie, et son pouvoir de fascination. Cette propension à toujours se tendre vers un homme providentiel, vers un système tournant tout autour de cet homme désigné par rien d’autre qu’une lignée auquel il appartiendrait. Une citation en particulier le résume parfaitement : « […] L’Histoire donnait une leçon cruelle. Elle disait souvent en lettres de sang que le vrai Roi était celui qu’on couronnait » . Seulement, Terry Pratchett ne se concentre pas tellement sur les aspects philosophiques ou moraux de la question, bien qu’il prête bien volontiers aux royalistes des intentions malfaisantes qui siéent bien aux différents antagonistes de ce roman. Il préfère plutôt se concentrer sur les aspects les pratiques du sujet pour opérer sa démonstration, l’intriquant au reste de ses réflexions, puisqu’elles sont très logiquement indissociables.
Un système politique se basant sur le sang et l’héritage, par sa structure même, ne peut subsister qu’au travers de la tradition et son renforcement ; tout changement trop radical ou incrémentiel sur une longue durée constitue une menace à sa pérennité. Le meilleur exemple de cette idée est bien évidemment Dragon Roi D’Armes, spécialiste en héraldique, dont le métier dépend directement de l’existence de blasons, tradition aristocratique. Au delà de l’ironie d’un vampire vivant d’un sang métaphorique, il est intéressant de constater qu’il est obligé au début du roman d’ouvrir son activité à des bourgeois s’étant élevés par la seule force de leur argent, ouvrant une porte sur un monde qui normalement les refuse mais ne peut pas vivre sans eux pour autant ; dans son cas, il ne le fait que parce qu’il y a aussi un bénéfice potentiel à trouver pour lui, malgré son mépris pour eux. Le rapport de l’aristocratie avec le reste du monde est vicié, n’acceptant de faire des concessions que lorsqu’il y a un bénéfice ou une chance de rétablir le déséquilibre en sa faveur alors que la course du monde a tendance à ramener les choses vers l’équilibre, quoique lentement et de façon douloureuse.
Ce que montre Terry Pratchett, c’est qu’un système politique tournant autour d’un seul homme dont dépendraient trop d’éléments, prenant comme exemple les aristocrates essayant de manipuler Chicard pour en faire un Roi à leur botte, au delà d’être profondément injuste et d’une crasse arrogance, c’est surtout inefficace. Trop d’interdépendances, de coups fourrés, de manipulations nécessaires et d’intérêts discordants créent des déséquilibres malsains qu’il convient d’aplanir de façon radicale, faute d’avoir le temps de pouvoir faire les choses paisiblement ; ne serait-ce que parce que le système mis en place, forcément, résisterait à son propre démantèlement, de par sa structure interne même. Toute la force du système mis en place par le Patricien Vétérini, avec les Guildes, c’est justement d’éclater cette structure, déléguant les pouvoirs et les responsabilités qui vont avec ; il dilue les interdépendances. Il est bien évidemment un tyran mégalomane, mais qui a tout de même à cœur les intérêts d’Ankh-Morpork, son statut est un outil indispensable à sa méthode, pas une fin en soi. C’est pourquoi il distribue les postes de pouvoir et laisse tant de latitude à VImaire et au Guet, il recherche avant tout une forme de stabilité au milieu du chaos qu’est la Grosse Youplà. Evidemment que c’est (en partie) absurde, mais à l’image du Disque-Monde, l’idée est de révéler l’absurde du réel par la projection de l’absurde fictionnel, créant des points de friction révélateurs.

Ils s’imaginent vouloir un bon gouvernement et la justice pour tous, Vimaire, et pourtant que désirent-ils vraiment au fond de leur coeur ? Seulement que tout se passe normalement et que demain ressemble à aujourd’hui.

Ce qui est amusant, pour moi, dans ce Tour du Disque, c’est aussi de constater au fil des lectures que je me souviens très souvent des aspects les plus narratifs des romans des Annales, mais plus rarement de leurs implications ; un témoin, sans doute, de l’évolution de mon regard beaucoup plus tourné désormais vers l’analyse. Et mon principal souvenir de ce volume, c’était la résolution de son enquête, bien plus vivace que son déroulé, parce qu’encore aujourd’hui, je trouve que c’est une des astuces criminelles les plus intelligentes et les plus habilement construites que j’ai pu lire (je ne lis pas beaucoup de polars, remarquez). Mais tout de même, j’en demeure d’autant plus soufflé que toute l’enquête menée par Vimaire et son équipe s’intrique brillamment avec le propos socio-politique du roman. Il ne s’agit pas seulement de suivre une piste d’indices matériels, mais aussi de remonter leur piste symbolique ; l’enquête est, d’une certaine façon, aussi sociologique que littéraire.
Toutes les figures du Guet et les personnages qu’ils croisent, aussi archétypaux qu’ils puissent être, sont autant d’outils pour la démonstration de Terry Pratchett. C’est un pari risqué, mais il sait leur donner suffisamment de personnalité et de souffle, notamment au travers de ses extraordinaires dialogues, toujours aussi percutants et organiques pour que rien ne paraisse finalement artificiel. On s’attache d’autant plus à eux qu’ils font preuve, pour la plupart, des qualités cardinales que veut leur prêter leur auteur, sans pour autant éviter de souffrir de défauts sur lesquels travailler. Que Carotte soit initialement hostile à la décision d’Hilaria pour très vite s’en accommoder ou que Vimaire, originairement contre l’intégration de minorités au Guet finisse par la souhaiter activement (quoique avec toujours une réserve envers les vampires), ou qu’Hilaria elle-même ait des préjugés envers les loups-garous alors qu’elle tisse des liens d’amitié avec Angua ; les personnages de Terry Pratchett sont conscients, « humains », avant tout le reste. Dès lors, leurs aventures créent du sens qu’il se contente d’extraire en déplaçant simplement sa loupe avec habileté le long de leurs trajets.

On Dit Aux Gens « Jetez Vos Chaînes » Et Ils S’En Forgent De Nouvelles.

Pour être tout à fait honnête, j’ai fait des coupes drastiques dans mes notes pour ne pas trop en dire, malgré mon sentiment d’avoir déjà quelque peu failli à cette ambition. Je ne m’attendais absolument pas à ressentir un tel emballement à l’issue de cette relecture. Seulement, ce tome contient bien trop de choses extraordinaires à mes yeux pour que je puisse faire l’impasse sur trop de ses aspects les plus percutants. J’ai tâché de ne pas trop me répéter sur les évidences ou ce qui aurait été une répétition issue des volumes précédents des Annales, même si quelques rappels me paraissaient indispensables.
Pour autant, je sais pertinemment que je n’ai pas pu rendre justice à Pieds d’Argile. Trop de constats brillants, trop de démonstrations synthétiques me semblant implacables, et surtout bien trop de punchlines, quasiment littéralement au rythme d’une par page, me forçant à faire un insupportable tri entre toutes les citations que j’aurais voulu inclure dans cette chronique. Il est probable que les sujets abordés dans ce roman, de par leur modernité et leur progressisme bienveillant, soient pour beaucoup dans mon appréciation et mon adoration pour ce dernier, comme pour Le Guet des Orfèvres mais c’est aussi cette intemporalité que j’aime profondément chez cet auteur décidemment bien singulier.
Cette intemporalité qui m’a fait me rendre compte que souvent, finalement, ce ne sont pas tant les auteurices et leurs ouvrages qui seraient en avance sur leur temps ; mais plutôt que ce serait le temps qui serait en retard à l’écoute.
Même si c’était un peu sans vraiment le savoir, je suis heureux d’avoir pu être à l’heure, parce qu’avec ce tome plus que d’autres, je me rend compte de l’influence, même légère, qu’a pu avoir Terry Pratchett sur certains des aspects de ma personnalité dont je suis le plus fier.
Mais bref. Pieds d’Argile est un petit chef d’oeuvre. Voilà.

Au plaisir de vous recroiser.
En attendant, que votre avenir soit rempli d’étoiles.

Le syndrôme Quickson

Publié le 1 juillet 2021

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