Premee Mohamed est définitivement une de mes découvertes de l’année, un nom qui me fait et fera acheter désormais à l’aveugle tous ses titres car elle parvient même l’exploit de me faire aimer les décors qui me repoussent habituellement.
Cette fois, après sa SF post-apocalyptique poétique et engagée dans La migration annuelle des nuages, et les chants d’un fantastique terriblement proche de la réécriture de conte dans Comme l’exigeait la Forêt, c’est un décor encore plus sombre moralement entre zombie et réécriture vénitienne qui nous embarque avec Et que désirez-vous ce soir, dont la couverture donne de suite le ton !
Je l’avoue, j’ai acheté la nouvelle à l’aveugle et quand on m’a dit qu’elle avait pour décor une maison close, j’ai pris peur. Je n’aime pas du tout les histoires ayant ce décor habituellement. Sauf que la magie de Premee Mohamed a opéré et ce dès les premières pages. Elle a une plume envoûtante, poétique, fine et âpre pourtant, jouant sur les nuances, les teintes et les couleurs pour mieux nous faire oublier où l’on est, tout en nous y plongeant le nez le premier dedans. Singulier.
Dès les premières lignes, elle captive en sachant se montrer dérangeante, incisive, sans pour autant glisser et être vulgaire comme je le craignais et l’appréhendais. La première scène en est le modèle parfait, avec cet enterrement poignant dans un lieu de culte, qui est le culte d’autre chose. Comment oublier ? Mais la suite, bien que plus fine et moins percutante, est toute aussi marquante. Comment ? En utilisant le personnage de Joyau, amie et compagne de malheur de Winfield, la courtisane qui vient de perdre la vie, campée entre deux postures. Celle-ci est ballottée tout au long de la lecture entre affection, affectation, désir de vengeance et crainte de perdre une forme de stabilité et protection qu’elle a trouvée dans ce monde en ruine et menaçant.
Car le récit ne se déroule pas dans n’importe quelle maison close, c’est la force aussi de l’autrice. Petit à petit, elle nous fait découvrir que cette maison Bicchieri est une sorte de lieu d’asile pour ceux vivant dans ce monde futuriste où le danger est partout dans les rues, où les criminels comme les purges du gouvernement menacent. On retrouve ici l’ambiance de son premier titre mais avec un éclat très vénitien, de l’époque des courtisanes dans les maisons closes et des crapules dans les venelles. C’est intime et effrayant à la fois, et Joyau l’incarne à merveille.
On comprend ainsi son tiraillement qui prend corps dans ce monde post-apocalyptique renaissant en faisant écho à ce que cela devait réellement être historiquement pour ces femmes qui trouvaient aussi une sécurité dans ces lieux. Alors son oscillation entre envie de participer au projet de son amie et peur terrifiante d’aller trop loin et de tout perdre pour pire, on la comprend terriblement bien. La sororité ce n’est simple que quand tout va bien, ensuite cela demande efforts, lutte et parfois abandon et mise en danger.
Avec sa plume si singulière, Premee a su me proposer un nouveau voyage des plus surprenants, sombre et pénétrant, violent et amoral, et pourtant porteur de valeurs de lutte et de sororité si importantes. Elle sait me faire aimer l’innommable. Elle sait me faire aimer une héroïne aussi ambiguë, malgré un texte peut-être moins accessible, plus résistant, plus dur dans ce monde évanescent et révoltant, où oppression et sécurité sont parfois du même côté et où il faut lutter contre soi-même pour résister et se mettre du côté de la morale. Un nouveau bijou d’intelligence.