Révolte parmi les réprouvés
Après une ballade post-apocalyptique dans le diptyque La Migration annuelle des nuages/Ce qui se dit par la montagne, l’autrice Premee Mohamed poursuit son exploration des futurs peu désirables avec sa novella Et que désirez-vous ce soir. Toujours traduite par Marie Surgers mais illustrée cette fois par Thomas Dambreville, la Canadienne propose une histoire de révolte aux éditions L’Atalante. Nous voici invités dans une Maison lors d’un jour de deuil pour rencontrer Joyau et son amie défunte Winfield…
L’action se situe quelque part à l’orée d’une grande ville. Difficile de dire où et comment mais ce que l’on sait c’est que dans cette mégalopole, les riches font la loi. Sans une puce pour affirmer votre productivité, une purge vous emporte, comme les rats que vous êtes. Heureusement, ce n’est pas le destin de Joyau et des siens. Pour eux, c’est un fardeau différent.
Dans la Maison Bicchieri, hommes et femmes se font courtisan(e)s. Une belle façon de dire que l’on vend son corps avec raffinement aux puissants.
Sous cette protection, quel malheur peut advenir ?
Réunis dans l’ombre d’une église abandonné, pourtant, les silhouettes pleurent la mort d’une des leurs : Winfield.
Assassinée par un richissime client. Impuni forcément.
Sauf qu’en ce jour de peine, un imprévu se produit et Winfield revient à la vie. Sa vengeance sera prompt et Joyau devra choisir son camp.
Premee Mohamed a cette étonnante capacité à tisser des univers en peu de pages pour définir une ambiance. Celle de ce récit a quelque chose d’intensément noir et désespérant, d’étouffant. Son écriture impeccable donne vie à cette Maison en un clin d’œil avant de nous esquisser les personnages en son sein. Joyau, Néron et Winfield.
La résignée, l’ange brisé et la révoltée.
Rapidement, l’autrice dirige sa verve contre les puissants, ceux qui exploitent les corps et prennent ce qu’ils veulent. Mais aussi contre les intermédiaires, ceux qui tiennent la Maison elle-même et entretiennent l’injustice, se goinfrant sur le malheur.
Et que désirez-vous ce soir gronde de colère jusqu’à la rupture.
Pour autant, si l’on est ravi de l’atmosphère, Premee Mohamed ne fait qu’effleurer son monde. On ne sait quasiment rien de l’extérieur et finalement peu de l’intérieur. Ce qui compte ici, c’est une histoire de vengeance, la loi du talion revue et corrigée par les femmes et les hommes victimes de violences morales ou physiques.
Toute l’histoire va donc se concentrer sur la prise de conscience de Joyau à la manière de Reid et de certains étudiants d’Howse dans Ce qui se dit par la montagne. Net, précis et sans bavure, ou presque.
La novella est dans l’air du temps, une furieuse charge #MeToo qui fait du bien et qui relève du catharsis pur. C’est assez bien mené et l’on en ressort satisfait. Mais la réflexion ne va guère plus loin que le défouloir.
Ce qui sauve le récit, c’est sa brièveté et la qualité d’écriture, deux éléments qui font passer d’une histoire somme toute banale à une friandise fantastique qui laisse un goût de trop peu dans la bouche. On sent que l’univers derrière gagnerait à être développé, qu’il appelle de ses voeux des développements plus amples pour donner une quête plus forte encore.
En l’état, on se contentera d’un bon moment. Un peu court certes, mais qui fait du bien face à l’injustice du monde réel.
Certainement plus anecdotique que ses autres écrits, Et que désirez-vous ce soir est une histoire de vengeance et de destruction de l’ordre établi. Premee Mohamed voulait redonner du poids à ceux qu’on oublie pour mieux dormir. C’est chose faites…mais c’est un peu court tout de même !
Note : 7/10