Écrit par un linguiste autrichien en 1954, oeuvre brève et unique (si l'on excepte des essais linguistiques illisibles), Le Merle d'Arthur Keelt est enfin réédité. Les éditions L'Atalante ont confié la nouvelle traduction à Jean-Bernard POUY, auteur bien connu de polars et grand admirateur de Keelt. C'est donc avec un réel bonheur que le lecteur découvrira ce récit connu des seuls initiés, et depuis longtemps introuvable.
Si le protagoniste principal du récit s'appelle Arthur KEELT et possède bon nombre de points communs avec son auteur, Le Merle n'est pas un récit autobiographique. Pouy (dans sa préface, NDLR) parle avec raison de texte " Voltairien ". Le Merle est en effet une satire de l'humanité, mais peut tout aussi bien servir de recueils d'aphorismes, ou de rassemblement hétéroclite de délires très sérieux.
Tout commence le jour où les Nouveaux Maîtres du Monde (entendez un russe, un américain et un anglais) rendent visite à Arthur Keelt, célèbre spécialiste du langage qui vit presque en ermite dans les montagnes de Styrie. Les Nouveaux Maîtres du Monde ont certes libéré l'Autriche du diable, mais depuis quelque temps "ils se mettent à nettoyer les 3 piques du trident", comme le pense Keelt. Aussi se méfie-t-il, surtout quand ses visiteurs lui annoncent que des extraterrestres ont laissé un étrange message dans le désert de Mojave. Seul un grand linguiste comme lui saura en déchiffrer la teneur exacte. En l'occurrence, le message dit ceci : "Vous êtes décidément trop nuls, néfastes et dangereux. On repart prendre du matériel et on revient vous péter la gueule".
Vient également une cage métallique, dont la nature est inconnue sur Terre. Et dans cette cage est enfermé un merle. Dés lors, Arthur doit comprendre ce que les extraterrestres ont vraiment voulu dire. Espionné par un beau légionnaire amateur de Karl Kraus, visité régulièrement par Greta la postière et Stûrz le paysan, Arthur discute avec le merle et échafaude tranquillement ses théories. Avec ce récit incisif et drôle, l'humanité en prend pour son grade, mais la critique de Keelt est toujours formulée avec un grand sérieux et un sens de la retenue qui fait mouche. Ici, pas de grosse blague ou de plates considérations, mais bien des remarques subtiles et décalées, décapantes et joyeusement subversives. On y apprend par exemple qu'une "longue pratique militaire vous rapproche de l'état de robot en pleine méditation transcendentale". Ailleurs, l'auteur nous assène une autre vérité : "S'il fallait réduire l'univers à une seule image, ce serait une cafetière et je n'en dirai pas plus ".
Terminons avec l'une des morales du texte: "En considérant que l'âge du monde mesure une année, l'homme apparaît le 31 décembre à 21 h et le sapiens à 23h46. En même pas un quart d'heure, il a tout foutu en l'air. C'est dire qu'il est décidément nocif. Les plutoniens n'étaient pas plus cons que moi. Ils l'avaient compris tout de suite. " Faites un geste civique. Lisez Keelt.
Alice ou Alfred ou un autre Abdaloff (de Salle 101)