Peintre d’atmosphères et de destinées, Guy Gavriel Kay est un auteur de fantasy historique que je me plais toujours à retrouver même quand ses romans ont des intrigues aussi évanescentes qu’ici.
Je vous avais laissés le mois dernier avec le très beau diptyque autour de Sarance (Constantinople), je ne pouvais pas en rester là en sachant que l’auteur avait continué à écrire sur cet univers. Je suis donc revenue vers lui avec Enfants de la Terre et du Ciel, sorte de suite se déroulant 25 ans plus tard, où sous un autre angle, l’auteur nous conte les destinées de ce monde méditerranéen fait de négoce, de politique, de conquête et de défis de toute taille et toute nature.
[...] Nous restons cependant sur une écriture de haut vol, pleine de poésie, de force et de fragilité, où l’auteur manie encore la plume tel un artiste, comme son héros peintre, le jeune Pero, envoyé à la nouvelle cour de Sarance, devenu Asharias où règne désormais un souverain ottoman. A ses côtés, l’auteur-artiste va dépeindre les destinées tragiques de la pirate Danika, du fils d’une grande famille marchande : Marin, ou encore d’une fille reniée de la noblesse : Leonora. Chacun s’inscrit dans cet univers très méditerranéen où l’influence de Braudel est partout et où leurs histoires vont nous transpercer le coeur. Ainsi si l’ensemble n’a pas su totalement faire mouche à mes yeux, chaque pièce fut en revanche une petite merveille.
Il faut dire que le parti pris de Kay est de revenir sur ce monde où il nous avait laissés après la chute de Sarance pour aller de l’autre côté de la Méditerranée, du côté de celle qui sera Venise pour nous et Séresse pour eux. Nos héros vont se retrouver pris dans les intrigues des grands marchants et dirigeants de la ville qui souhaitent espionner leurs puissants voisins dont ils se méfient. Envoyant ainsi de faux émissaires, ils ouvrent une vaste aventure dont ils ne se doutaient pas des débouchés. J’ai aimé partir à leurs côtés, voguer sur les voies maritimes, m’arrêter dans des cités inédites, découvrir de nouvelles destinées, rencontrer un tyran effrayant de charisme, me faire prendre dans les rez de ces politiques complexes. Ce fut passionnant. [...]
Les personnages me sont apparus dans toutes leurs puissantes représentations de ce monde chargé d’histoire. Il y avait de superbes personnages féminins se rebellant contre le rôle qu’on souhaitait donner aux femmes. Chacune a su prendre son destin en main et le transformer de manière incroyable. J’ai été aussi bien sous le charme de la femme politique que devint Leonora que de la femme d’action que fut Danica. Chacun connut en plus de poignantes et déchirantes histoires d’amour magnifiquement contées sous la plume poétique et dramatique de l’auteur, avec des développements qui m’ont déchiré le coeur sur la perte d’un enfant, celle d’un frère, la trahison d’un père… J’ai adoré ! Les hommes ne furent pas en reste, mais peut-être eurent-ils moins le rôle viril et fort qu’on leur attribue habituellement. Cela m’a agréablement surprise. J’ai aimé leur finesse et leur fragilité. Marin fut un superbe compagnon plein d’attention et de bienveillance. Pero fut un artiste honnête et droit. J’ai adoré réveiller cette fibre artistique déjà bien présente dans Sarance ici avec la peinture de Pero. J’ai vibré quand on a recroisé une autre figure masculine phare de Sarance dans une aventure crépusculaire pour lui.
L‘auteur a ainsi réalisé non pas une mosaïque cette fois, mais une toile vibrante, riche en couleurs et en tons, avec une multitude de scènes impliquant amour, amitié, politique, espionnage, rivalité, économie, guerre, choc des religions et des cultures. Il a vraiment entremêlé les destinées de chacun dans cette vaste toile, qui bien que fort longue, a toujours su trouver les chemins de mon coeur. Le récit de cette Méditerranée changeante, conquérante, vacillante, nouvelle fut sombre et crépusculaire avant de se retrouver porteuse de plein d’espoir. J’ai peut-être trouvé l’auteur moins incisif et marquant que d’autres fois mais c’est parce qu’il a su porter la fantasy historique à de telles hauteurs ! En tout cas, amoureux de la Méditerranée, amoureux des XVe et XVIe siècle, venez en découvrir l’interprétation humaine et haute en couleur de l’auteur, je vous jure que vous n’en ressortirez pas indemne !