Henneberg - La Plaie - l'oeil des chats
Article Original

1964. Deux ans après la guerre. Une paisible sous-préfecture du centre de la France. Une librairie (?) - enfin, la seule librairie. Une petite pile de livres de poche jette une faible lueur rougeâtre au bout de la table. Vous ouvrez à la première page.

Les premières fois existent. Je me souviens avoir compris pour la première fois, en lisant  
Babylone vous y étiez... que la littérature pouvait être la continuation de la guerre par d'autres moyens. Et c'est en lisant La plaie que j'ai entr'aperçu (je ne pense pas être le seul) que la littérature d'anticipation est faite d'une méfiance profonde  envers - et tend même vers un refus obstiné de - toute forme d'avenir.

Que lit-on dans La plaie ? Qu'il existe un mal, le Mal Terrien, - une sorte de nazisme galactique et multiforme, et peut-être une forme de Mal au sens philosophique encore plus que moral - qui se répand un peu partout dans l'univers. Une sorte de Space Opera dans l'Enfer de Dante. Une guerre métaphysique à travers la galaxie...

Nathalie Henneberg, née Novokovski en 1910 à Batoum dans le Caucase, a écrit La plaie à partir de son expérience de divers effondrements européens. La chute du tsarisme d'abord, qui entraîne sa famille à Sébastopol avec l'armée de Wrangel en fuite, puis à Istanbul, enfin en Syrie et au Liban. […] On est assez loin de la S.F. progressiste - le truc de N.H., c'était la réincarnation, l'astrologie, l'Atlantide, la Kabbale, L'Egypte ancienne, l'Apocalypse, Jean Ray et Michel Zévaco... le mythe - une surbrodeuse de mythes, en y ajoutant la SF de l'époque, rayons et fulgurants. 

Elle écrit La plaie dans un moment très particulier de l'histoire bipolaire. Chez elle aussi, la littérature est la continuation de la guerre, par d'autres moyens. […]

Dans La Plaie l'étendard noir du Mal Terrien se déploie sur l'univers, les anges hésitent à se battre et des gamins doivent s'y coller en chantant... il y a même une princesse impériale morte et ressuscitée (souvenir d'Anastasia ?), réduite à son cerveau encapsulé dans un androïde, quasi-devenue un personnage de Philip K. Dick...

Et cette idée d'un Mal omniprésent à la fois physique et psychique, maladie et malédiction, pas complètement vaincu à la fin du roman - approche lointaine, mais unique dans ce genre littéraire, du Mal radical, et qui ne pouvait surgir que sous la main de celle qui avait vécu dans sa chair une parmi tant d'autres chutes de Palmyre.

Ça vous en bouchait un coin, en 1964. Pas d'avenir radieux, pas de lendemains qui chantent. Le nazisme devant nous comme on l'avait derrière.

Ah, mince...

Remarquez cependant que le refus de l'avenir - comme forme littéraire, ou autrement - présente cet avantage de ne pas être pris au dépourvu si la catastrophe 
a déjà commencé. Bonne lecture.

 

- L’œil des chats, le 23 août 2018.

Publié le 7 septembre 2018

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