Le Silex et le Miroir nous conte la fin d'une ère, où le chant du monde ne chante plus pour les Gaëls... Et au regard du talent manifeste de Crowley, nous ne pouvons que nous réjouir de voir ses textes à nouveau publiés sous nos latitudes.

Le Silex et le Miroir - Bifrost n°112

Nous quittons les territoires amérindiens du superbe et multiprimé Kra : Dar Duchesne dans les ruines de l'Ymr pour l'Irlande du XVIe siècle, période qui voit l'implantation des Tudors en terre irlandaise, et la résistance des chefs locaux à la domination anglaise. L'Irlandais Hugh O'Neill nourrit le secret espoir d'incarner l'O'Neill des anciennes légendes, le grand roi à venir : nous suivrons ici ses tribulations. Enfant, il est envoyé en Angleterre comme pupille, dans l'intention de parfaire son éducation et d'aider à la pacification du royaume en échange de l'attribution escomptée du comté de Tyrone. Jouissant des faveurs de la Reine, le jeune protégé se voit remettre, par l'intermédiaire de John Dee, un petit miroir d'obsidienne doté de hiéroglyphes conçus par le mage et docteur.
Ce talisman permet à la souveraine de connaître les pensées de son détenteur, ce qui achève d'asseoir son autorité sur l'Irlandais. Après sept années passées en Angleterre, Hugh O'Neill est renvoyé en Ulser et va dans un premier temps servir les intérêts de la Couronne britannique. Mais très vite se fait jour en lui l'idée que les rois d'Irlande n'ont pas abandonné leurs terres aux Anglais, que celles-ci appartiennent depuis l'aube des temps à d'autres peuples.
À charge pour notre protégé, devenu adulte et investi du pouvoir d'invoquer les Anciens, les Sidhe, de prendre la tête de ce combat et de reconquérir ces terres ancestrales. Il est aidé en cela d'un artefact magique, morceau de silex taillé reçu en héritage. Cette antique magie sera-t-elle toutefois à même de pouvoir réveiller les anciens rois et leurs armées évanescentes, demeurés tapis dans l'ombre des légendes et attendant leur retour ? Ces lointaines races quitteront-elles leurs banquets et leurs danses pour répondre à l'appel de l'insurrection ?

Remarquablement documenté sur cette période voyant grandir l'influence des Tudors en terre irlandaise, John Crowley offre une subtile alchimie entremêlant histoire événementielle et fantasy. Au regard de son parcours, le Hugh O'Neill historique semble s'être également montré d'une incessante duplicité, laquelle conduisit l'Angleterre et l'Irlande au conflit connu sous le nom de "la guerre de neuf ans en Irlande", s'étalant de 1594 à 1603. La présence de cette fantasy au sein de la construction narrative s'avère par ailleurs des plus ténue ; seule la mention de quelques manifestations invisibles issues du folklore insulaire, sertie des pouvoirs discrets du miroir en obsidienne et du morceau de silex taillé, révèle cette furtive intrusion. Une présence surnaturelle à l'image du petit peuple : facétieuse. Il nous faudra par conséquent chercher notre plaisir de lecture ailleurs. Et celui-ci de s'affirmer justement dans l'arc narratif proposé par l'auteurn qui voit son héro exposé aux moult vicissitudes de son chaotique et singulier parcours. Mais plus encore dans l'exposition savamment orchestrée qu'il donne à voir du délitement d'une Irlande dont les forces invisibles semblent s'éteindre, leur pouvoir d'acion sur le monde des hommes ayant perdu de leur superbe au cours des âges.

Le Silex et le Miroir nous conte la fin d'une ère, où le chant du monde ne chante plus pour les Gaëls... Si le récit anglo-irlandais ne saurait concourir avec Kra – doté d'une envergure, d'une force narrative et d'une charge émotionnelle supérieures –, il n'en constitue pas moins d'une lecture fort recommandable. Et au regard du talent manifeste de Crowley, nous ne pouvons que nous réjouir de voir ses textes à nouveau publiés sous nos latitudes.

Franck Brénugat

Publié le 26 octobre 2023

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