Après en avoir beaucoup entendu parler, j’ai découvert l’univers de Becky Chambers assez tardivement, avec sa duologie Histoires de moine et de robot. J’ai été vraiment enchanté par ces deux novellas, qui se démarquaient de mes lectures SF habituelles par leur optimisme, leur philosophie solaire et profondément queer. Par la suite, j’ai eu un immense coup de cœur pour L’Espace d’un an, premier volume de sa saga des « Voyageurs », que je n’ai hélas toujours pas eu l’occasion de continuer… Je remercie donc vivement les éditions l’Atalante de m’avoir envoyé ce recueil inédit de cinq nouvelles, qui m’ont replongé avec plaisir dans son univers !
Les nouvelles présentées dans ce recueil ont été initialement publiées entre 2014 et 2022. Elles n’ont ainsi aucun lien entre elles, et semblent se dérouler dans différents mondes, décrits avec un minimum de worldbuilding si besoin. Cependant, ces récits ont pour point commun de mettre en scène des protagonistes féminins ayant un certain décalage avec leur société.
On va ainsi suivre les histoires de quatre humanoïdes : une scientifique qui s’accroche à une mission d’exploration abandonnée par ses dirigeants, une jeune militaire à l’esprit rebelle qui devient soudainement l’élue choisie pour sauver l’humanité de l’extinction, une femme dont la fille est prête à tout pour devenir exploratrice spatiale et une hors-la-loi désabusée qui se retrouve détentrice d’un pouvoir destructeur surgi du fond des âges. J’ai beaucoup aimé ces courts récits, souvent pleins d’humour (à l’exception de Chrysalide, qui m’a vraiment fendu le cœur !), et empreints d’un très fort optimisme allié à une grande foi en l’humanité, comme toujours avec Becky Chambers. Le vaisseau cercueil m’a particulièrement plu pour son côté absurde et sa réflexion sur les relations entre pouvoir et moralité, avec une excellente conclusion !
Dans le cinquième récit, le plus long, qui donne son nom au recueil, j’ai retrouvé avec grand plaisir l’univers de la saga des « Voyageurs » que j’avais tant apprécié ! Il permet à l’autrice de nous présenter plus en détails les Sianat, une espèce alien d’un naturel discret et solitaire introduite dans L’Espace d’un an. Le but ultime de ces êtres est d’être infectés par un virus, nommé le Chuchoteur, pour accéder à un niveau de conscience supérieure leur permettant notamment d’officier comme navigateurs dans les équipages des vaisseaux qui sillonnent l’univers. En contrepartie, ils perdent leur individualité, se considérant ensuite comme des paires, deviennent totalement hermétiques au monde qui les entoure, et laissent le virus dégrader petit à petit leur organisme jusqu’à leur mort. L’héroïne de cette histoire est une Sianat qui, après avoir reçu l’injection du virus, a gardé sa personnalité, contrairement à tous ses semblables. Souffrant de cette incompréhensible différence, elle va essayer de le cacher et de se comporter comme une paire Sianate normale, tout en abhorrant la profonde solitude à laquelle aspirent toutes les paires. Mais grâce à l’amitié sincère qu’elle va développer avec la capitaine de son vaisseau, elle va finir par accepter sa différence et par l’assumer, jusqu’à envisager qu’il existe peut-être d’autres Sianat « hérétiques » comme elle…
J’ai vraiment pris beaucoup de plaisir à lire cette nouvelle, qui se déroule sur une plage temporelle plus longue que les précédentes. Cela permet de s’intéresser vraiment à la psychologie de son héroïne, qui s’efforce de cacher sa singularité par peur d’être dénoncée par son entourage, jusqu’à finir par trouver sa vraie place dans l’univers. Un très beau message, qui parlera à beaucoup !
J’ai passé un beau moment de lecture avec ce recueil, léger comme une parenthèse solaire au milieu de lectures plus denses. Becky Chambers a décidément un don pour raconter des histoires de gens simples qui essaient simplement d’exister dans des contextes qui les dépassent : il n’y a pas toujours de grands enjeux comme dans d’autres récits de SF, mais moi, en tout cas, ça me parle et j’adhère totalement. En attendant son prochain roman, je n’ai plus qu’à rattraper mon retard sur « Voyageurs »…