Alvin Smith a maintenant vingt-six ans. Une belle réussite, pour quelqu'un dont la plupart des chemins de vie lui promettent une mort violente. Depuis le début de son existence, il a sauvé bien des gens, et réalisé plus de bienfaits que ne le pourrait bon nombre. Et pourtant, Alvin est insatisfait. La vision de la cité de cristal le hante. Et ne sachant comment interpréter ce rêve, Alvin est comme désoeuvré, car il commence à craindre de ne jamais pouvoir réaliser la grand-oeuvre à laquelle ses pouvoirs de faiseur le destinent...
... c'est pourquoi il accepte de suivre les conseils de Margaret (sa femme) et de partir pour la ville de Nueva Barcelona. Peut-être que là-bas, il trouvera les indices nécessaires. Peut-être qu'il y trouvera les réponses qu'il cherche, ces réponses que Margaret se refusent à lui donner : quel est le but de son existence.
Accompagné d'Arthur Stuart, dont il poursuit la formation, il fait la rencontre de Mam'Ecureuil et de Pap'Orignal, un couple courageux, ayant pris à leur charge de nombreux enfants de couleur, dans une ville où il ne fait pas bon de se dire abolitionniste.
La Cité de Cristal est le sixième volume des Chroniques d'Alvin le faiseur. Pour ceux qui arrivent sur le tard, il faut savoir que ce roman d'Orson Scott Card est une uchronie se déroulant dans l'Amérique alternative des années 1800, à l'époque de la colonisation et de la ruée vers l'or. On y rencontre des personnages historiques hauts en couleur, tels que Bonaparte, William Blake ou encore Lincoln. La seule différence étant que les croyances païennes ramenées entre autres par les irlandais ont tout ce qu'il y a de plus réel. Dans ce monde, les charmes fonctionnent, et si tout le monde n'y croit pas, il existe bel et bien des individus ayant certains dons (pour plaire, pour commander, pour réparer les charrues ou cercler les tonneaux). Les plus puissants d'entre eux sont appelés des faiseurs, et sont capables de manipuler la matière de l'intérieur, de la modeler et de la réajuster par la simple force de l'esprit. Alvin Miller, dont Card nous conte l'histoire, est le plus puissant faiseur qu'on ait vu depuis plusieurs siècles. En vérité, on pourrait seulement le comparer à Jésus et à Moïse.
Après une grande attente (plus de quatre ans entre le précédent volume et celui-ci), me voici comblé ! Je commence le livre avec une certaine appréhension, mais au bout d'une page, me voici rassuré : Card n'a rien perdu de son talent !
Les dialogues, écrits dans la langue populaire de l'époque (une sorte d'argot, admirablement traduit par Patrick Couton), sont un régal d'intelligence, savant mélange de réparties cinglantes et d'humour.
Les personnages ont gagné en maturité, et les relations qu'ils entretiennent les uns avec les autres gagnent en complexité. Fin psychologue, l'auteur nous amène à comprendre ses personnages de l'intérieur, sans manichéisme.
C'est pourquoi il est impossible de prendre de haut les prétentions didactiques de l'auteur, car le message humaniste qu'il défend, son parti-pris éthique, celui de condamner l'esclavagisme par exemple, ne fait pas des "propriétaires blancs" d'infâmes tortionnaires sans âmes. Évitant la caricature, Card rend ainsi crédible son message, et transforme ce qui dans d'autres romans ne serait rien d'autre qu'un poncif démagogique en formidable apologie du respect et de la considération pour l'autre, qu'il soit blanc ou noir, bon ou mauvais, homme ou femme, et cela avec l'humilité de ceux qui connaissent les limites du discours moralisateur.
Enfin, chose importante, le présent volume a sa véritable raison d'être dans le cycle, puisqu'il annonce la clôture des aventures d'Alvin Miller. Les différents moments du récit sont particulièrement bien articulés entre eux, sans artificialisme. Quant à savoir ce qu'il en sera du futur (et dernier ?) volume, une seule chose est sûre : Card ménage notre angoisse, et sur son héros plane un véritable suspens : Alvin le Faiseur devra-il mourir pour ses amis et pour la Cité de Cristal ?
Vivement la suite !
Bibirox (13/07/2004)