Imprégnée de poésie mystique, elle sculpte des personnages âpres dans un monde violent, où les différends religieux se règlent à la pointe de l'épée.

Le Monde
Article Original

A l'été 1186, en Syrie, le château de Terra Nuova pleure son seigneur. Surnommé  "le duc de fer", le chevalier normand a disparu sans laisser de trace ou de descendance. C'est donc à Sybille, sa nièce, que revient la charge de défendre la forteresse dressée à la croisée des routes d'Antioche et d'Alep, au creux de la montagne d'Afrin. Alors que le sultan d'Egypte menace les conquêtes franques, la jeune femme se résigne à abandonner les siens.

A l'est, en effet, un ennemi plus dangereux que tous les émirs, princes et brigands défie les Quarante, gardiens célestes de l'équilibre du monde. Pour l'arrêter, Sibylle doit retrouver une coupe légendaire qui renferme les secrets du cosmos: la Rose de Djam. Laquelle donne son titre au cycle romanesque qu'inaugure Sandrine Alexie.

 

Bouillonnement culturel

Dans ce premier tome, la romancière revisite la légende iranienne du "Djam-i Djam", double oriental de la légende du Graal. Imprégnée de poésie mystique, elle sculpte des personnages âpres dans un monde violent, où les différends religieux se règlent à la pointe de l'épée. Aidée par son cheikh, deux écuyers dévots et un Gascon ombrageux, Sybille s'engage dans une quête initiatique.

D'abord autoédité sur Amazon ("parce qu'il n'y avait pas de poste là où j'étais pour envoyer le manuscrit aux éditeurs" raconte au "Monde des livres" l'auteure, qui vivait alors au Kurdistan irakien), La Rose de Djam met quelques chapitres à trouver son rythme. Puis le récit se déploie et dévoile une intrigue aux multiples ramifications et résonances. Héritier du Clan des Otori, de Lian Hearn (Gallimard, 2002-2008), comme du Roman de Baïbars, cycle narratif arabe du Moyen Age, L'Appel des Quarante puise dans l'imaginaire féerique de l'Orient médiéval.

On y croise Ghazi Al-Zahir, prince d'Alep, et Sohrawardi, maître soufi, personnages romancés mais historiques. Sandrine Alexie transporte avec passion son lecteur dans les méandres des dynasties seldjoukide (Iran, Asie mineure, XIe-XIIIe siècles) et ayyoubide (Egypte, Syrie, XIIe-XIV siècles), période au cours de laquelle cohabitent Normands, Occitans, Turcs et Perses dans un extraordinaire bouillonnement culturel.

"En France, on connait très mal le Moyen Age musulman. J'avais envie de faire découvrir ce monde pluriel qui fait partie de notre histoire. C'était une culture commune qui est aujourd'hui séparée, mais à l'époque, on parlait français sur toute la côte libanaise", explique l'auteure.

La Rose de Djam mêle l'argot des Francs aux circonvolutions fleuries des émirs. Fascinée par les chroniques historiques, Sandrine Alexie s'amuse à en reproduire le style alambiqué. Traductrice de Mem et Zin, d'Ahmede Khani (L'Harmattan, 2002), roman d'amour d'un mystique soufi du XVIIe siècle, la romancière joue de la grammaire pour transcrire les singularités des langues orientales.

 

Courant d'air frais

Elle renouvelle les sources d'inspiration de l'heroic fantasy tout en respectant les fondamentaux du genre. Un courant d'air frais dans un registre très attaché à l'esthétique de J.R.R. Tolkien, dont l'univers signe la rencontre entre les mythes celtes et scandinaves sur fond d'Europe médiévale idéalisée.

Espérons que Sandrine Alexie confirmera, dans La grotte du dragon, le deuxième volume, prévu pour le 22 août, qu'elle possède un souffle assez ample pour porter une saga de six tomes.

 

Élisa Thénevet

Publié le 17 juin 2019

à propos de la même œuvre