En bref, La Défense du paradis est un très bon roman post-apocalyptique qui a un style bien lui et constitue une véritable ode à la littérature et aux mots. Une intrigue passionnante, des personnages marquants et une plume atypique et frappante.

Les critiques de Yuyine
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« Je m’efforcerai, non je ne ménagerai pas mes efforts pour que, par mes écrits, mes notules, la culture de l’homo sapiens survive ici, sur l’alpage des roses, dans notre ressort, grâce à ma propre plume. Car je le sais: plus que marcher, on peut flâner. Plus que manger, on peut se sustenter. Plus qu’écouter, on peut tendre l’oreille. »

Une véritable ode au pouvoir des mots
Je suis une grande amatrice du genre post-apocalyptique, et même si j’ai parfois le sentiment d’avoir fait le tour de la question, c’est encore un genre que je lis avec plaisir. Mais quand le titre lu sort du lot et démontre une nouvelle façon de parler de fin du monde, alors je suis comblée ! La Défense du paradis est de ceux-là. Si, sous certains aspects, notamment dans son intrigue (du moins dans les grandes lignes), il ne s’éloigne pas des classiques du genre, sous beaucoup d’autres, il fait preuve d’originalité. Tout d’abord par la plume et la construction narrative. Avec un style bien à lui, mêlant des formulations pleines d’anglicismes (conséquence de la fin du monde) à des envolées lyriques usant de « vocables anciens » qui n’ont plus d’usage dans le monde effondré, l’écriture de ce roman peut dérouter mais aussi envoûter. Notre jeune narrateur, amoureux des mots, cherche à les préserver et à survivre et rester digne grâce à ses écrits, grâce à la richesse des mots qui font de lui un véritable être humain. La narration elle-même est d’une richesse folle, usant autant du pouvoir des silences que de celui des mots et accompagnant l’état de santé du jeune Heinz par son style. C’est très puissant et ça a dû être une traduction des plus complexes surtout quand les mots disparaissent, s’échangent, se délitent comme la pensée du narrateur. Chapeau à Claire Duval pour son travail ! C’est aussi une ode à la littérature ! Des références nombreuses et très variées parsèment le texte et c’est grâce aux histoires que Heinz semble tenir le coup. Des contes pour s’évader de l’horreur, des mots choisis avec soin pour rester digne : voilà l’essence de La Défense du paradis.

« Je doute que cette terre ait jamais connu aucune autre espèce capable de courir à sa perte avec une telle constance, ni faire pareillement étalage du mal qui, par sa main, advint en ce bas monde. »

Un regard critique sur notre monde
La Défense du paradis n’est pas pour autant un récit pompeux et lent, au contraire. Il reste un roman post-apocalyptique oppressant parfois, où survivre est de plus en plus compliqué au fur et à mesure des événements. L’ambiance est particulièrement remarquable. La soif, la faim et l’obscurité et le brouillard permanents sont presque tangibles. L’intrigue m’a réellement passionnée, touchée que j’étais par ses personnages qui, certes, tendent à perdre leur humanité mais qui ont aussi leurs moments de grâce. Chacun, à sa manière, est touchant, y compris le petit robot-fennec (un petit coup de cœur pour cet être croquignolet) qui interroge le lien homme-machine. Si parfois les évènements sont peu nombreux, la situation étant celle qu’elle est, l’histoire reste captivante de bout en bout jusqu’à un final très marquant. Le roman interroge également notre humanité actuelle, et notamment de façon assez frappante notre traitement des migrants ou bien encore le travail des enfants. Il y a beaucoup d’enseignements à tirer de ce roman passionnant. Et comme Jorden imagine un cycle infini, j’ai presque envie de retourner au début de l’ouvrage pour le lire à nouveau, retrouver l’alpage des roses et profiter des moments heureux et simples, une odeur de violette et de rose pour m’envelopper… c’est aussi ça le pouvoir des bonnes histoires : nous donner envie de ne pas les quitter.

« Comment cet ancien concept, que nous n’employons plus que rarement, comme cette notion de « beauté » pourrait-elle s’appliquer au décor alentour ? Chaque jour est une lutte. Chaque jour pourrait être le dernier. »

En bref, La Défense du paradis est un très bon roman post-apocalyptique qui a un style bien lui et constitue une véritable ode à la littérature et aux mots. Une intrigue passionnante, des personnages marquants et une plume atypique et frappante.

Publié le 27 août 2019