Quelle excellente initiative de la librairie L'Atalante de nous offrir dans sa Bibliothèque de l'évasion de jeunes auteurs de S.F. à découvrir. Après Borrelli, voici que ces éditions publient Bzjeurd d'Olivier Sillig. Pour situer l'atmosphère du roman, avec la facilité d'oser une comparaison, disons qu'elle oscille entre Buzzati et Coetzee. Au sein d'un univers partagé entre la mer et les limbes, indécis, semé d'îlots terrestres où vit une population fruste, des bandes armées portent la mort. Après le saccage de son village, Bzjeurd fera l'apprentissage de la cruauté dans la forteresse de Kazerm, dont personne ne connaît l'origine ni les buts. Devenu cavalier de deuil, il partira en quête de vengeance.
On imagine avec horreur cette histoire traitée en quatre volumes de 850 pages par un auteur américain. Sillig travaille dans la concision, l'intensité, œuvre dans révocation subtile de ce paysage des limbes, où se risquent les voyageurs. Parcours technique aux péripéties symboliques dans un monde gris, absurde jusque dans sa vraisemblance. Ici, les repères se limitent aux dunes et au limon, aux lamproies qui sortent de la vase, aux pouffins qui les emportent, aux sentiers qui s'enlisent dans la boue, aux face-à-face mortels entre des adversaires victimes de la fatalité. Auteur minimaliste, Sillig nous séduit d'emblée par son épopée esthétique.
Philippe Curval, Mag Littéraire, mai 1995