On a aujourd'hui tendance à croire que les Etats-Unis marchent comme un seul homme sur la voie du libéralisme avancé ; que ce pays n'a jamais connu le moindre conflit social. Or c'est faux. Outre-Atlantique aussi, les masses laborieuses ont mené de durs combats. Mais leur point de vue est « rayé de la mémoire du monde, comme ces Carthaginois qu'on ne perçoit qu'à travers des yeux romains » nous dit John Shannon.
Ce point de vue oublié, Shannon l'exhume dans La rafle des eaux, fresque en trois volumes que les éditions de L'Atalante ont entrepris de publier en français. Le premier tome, sous-titré Owens, renvoie aux années 20 et au combat de fermiers empêchés d'îrriguer leurs terres pour que l'eau profite à Los Angeles. Affrontement du pot de terre et du pot de fer, à Fissue inéluctable. L'histoire se vit à travers Maxi Trumbull, une journaliste que ses idées progressistes et les élans du cœur poussent du côté des fermiers d'Owens. Elle y perdra la vie...
Quinze ans plus tard, on retrouve son fils Gène en militant syndical, essayant de créer des sections et de déclencher une grève dans la plus grosse usine des Etats-Unis, à Flint (Michigan), où naîtrait plus tard le turbulent cinéaste Michael Moore. Tâche obscure, obstinée, dangereuse, quand toute la ville, ses juges, ses policiers, ses miliciens sont à la solde du patron M. Green (d'où le titre de ce second tome, Green City). Surtout que le fond de l'air n'est pas franchement progressiste : à la même époque, Franco attaque la république espagnole, les nazis états-uniens s'organisent sous la bannière de la Fraternité américano-germanique... La rafle des eaux nous ouvre les yeux sur la face obscure du « rêve américain ». Owens était révélateur, à cet égard. Green City, récemment arrivé dans les bacs des libraires, est carrément passionnant. Le troisième et dernier tome, Owens revisité, devrait paraître au début de 2005.
Richard SOURGNES, Le Républicain Lorrain, septembre 2004