"Je crois que la SF est la forme de culture la plus honnête qui soit. C’est pratiquement le seul mode d’expression artistique qui affirme que le monde, l’homme et la nature changent." François Rouiller.

Rouiller - Après-demain - Actusf
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C’est l’une des belles surprises de la rentrée. François Rouiller et les éditions de l’Atalante nous offrent un recueil de dessins drôles et intelligents en forme de reflexion sur notre futur. Cela valait bien une petite interview de l’auteur...

Actusf : Comment avez-vous découvert la science fiction ?
François Rouiller : Je crois que je n’ai jamais véritablement " découvert " la SF. J’y ai toujours vécu. La preuve ? - Le premier dessin que j’ai exécuté, ou du moins le plus ancien dont j’ai retrouvé la trace, représentait " des animaux qui vivent dans la Lune ". Je devais avoir 4 ou 5 ans. Cela dit, mon approche de la culture SF s’est faite par à-coups. Je fus d’abord marqué par la BD (Tintin, Blake & Mortimer), puis par Bob Morane. Le saut suivant fut la découverte de la revue Fictions et de la collection Anticipation du Fleuve. Enfin, vers l’âge de 17 ans, j’ai dévoré tous les classiques édités par Jacques Sadoul chez J’ai Lu. Dès lors, la contamination était irréversible.

Actusf : Y’a-t-il un auteur ou un illustrateur qui vous ait particulièrement marqué et si oui pourquoi ?
François Rouiller : Un auteur, certes, et même plusieurs. Au premier rang, Dick, bien sûr, qui reste ma référence à de nombreux points de vue. J’ai eu le plaisir récent de le relire attentivement, puisque j’ai consacré à l’auteur de Substance Mort le plus grand chapitre de mon étude " Drogue-fictions " (titre provisoire), à paraître aux éditions Encrage. J’y propose une relecture littéralement stupéfiante de son œuvre. Ce travail m’a permis non seulement de faire la synthèse de toutes les bonnes raisons d’apprécier cet auteur, mais aussi de tenter une approche personnelle, que j’espère originale. Il y a bien d’autres écrivains que je pourrais citer, mais la liste serait longue. Disons, au risque d’en oublier les trois quarts : Herbert, Sterling, Lafferty, Lem, Egan, Silverberg, Jeury, Simak, Spinrad. Côté illustrateurs et artistes, mes découvertes ont résulté davantage de "chocs esthétiques " successifs que d’une exploration systématique. Il y eut le " choc " Druillet, puis le " choc HR Giger ". La suite, ce fut l’éblouissement à la lecture des premiers Métal Hurlant (Moebius en particulier), puis l’ouverture à toutes sortes de sensibilités artistiques (pas uniquement SF, je tiens à le préciser) : les peintres victoriens, les Symbolistes, Dalì, Fuchs, plus quelques émerveillements dans mon domaine de prédilection : le Caza de Arkhé, Bilal dans son dernier album ou les illustrations de J. Howe, Patrick Woodroffe, Brom, Barlowe, Oscar Chichoni.

Actusf : Pourquoi avoir choisi l’illustration plutôt que la bande dessinée par exemple ?
François Rouiller : Une simple question de temps d’exécution. Pour mener à bien un album, il faut, si on ne fait que ça, au bas mot une année de travail. Comme je ne suis pas un pro, un tel chantier est hors de ma portée.

Nous : Comment est née l’idée de ce livre avec les éditions de l’Atalante ?
François Rouiller : Le projet a pris consistance lors de l’exposition de mes dessins aux Utopiales de Nantes, en 2001. Pierre Michaut, directeur de l’Atalante, a vu dans ces illustrations la matière d’un livre. Nous sommes rapidement tombés d’accord sur la forme du bouquin : un recueil d’images qui aurait l’aspect d’un roman. J’espère que l’idée séduira aussi le lecteur.

Actusf : On trouve dans Après-demains une centaine de dessins, comment chacun est-il né ? Y’a-t-il un processus de création récurent ou les réalisez-vous au fil de vos idées ?
François Rouiller : Les idées viennent à leur rythme, au fil de mes lectures et de mes rêveries. Quand j’en tiens une, je la note et m’empresse de l’oublier. Lorsque j’ai le temps de m’installer à ma table de dessin, je consulte ces notes et je sélectionne un sujet, que je couche sur le papier. Le principe de Après-demains, comme son titre l’indique, n’est pas d’anticiper linéairement, c’est-à-dire de prolonger en imagination les tendances du présent. Je me suis fixé la règle de toujours spéculer au deuxième degré. Soit, de non seulement prévoir le développement de telle invention ou de tel nouveau mode de comportement, mais d’en imaginer les retombées, les conséquences imprévues par la projection linéaire.

Actusf : Vous avez réalisé ces cent dessins depuis 1995. Comment considérez-vous la parution de ce livre. Comme un aboutissement ? Ou une étape dans votre travail ?
François Rouiller : Je n’en sais rien pour l’instant. Tout dépendra de l’accueil reçu. Si un intérêt se manifeste, je mettrai en image de nouvelles idées (mes cahiers de note en sont pleins). Sinon, je passerai à autre chose.

Actusf : On sent derrière l’humour de vos illustrations un sens aiguisé de l’observation de notre société. Quel était l’objectif de ces dessins : distraire les lecteurs ou les visiteurs, ou bien les amener à une certaine réflexion sur leur quotidien et les grandes questions de notre temps ?
François Rouiller : Je ne prétend pas délivrer un message ou asséner quelque leçon de morale. Je m’amuse à confronter les petits travers de la nature humaine aux mutations qui l’attendent. Si je peux aider mes contemporains, fût-ce en les incitant à sourire, à échapper un instant à l’illusion d’un monde immuable pour envisager quelques-uns des changements technologiques et sociaux qui se préparent, j’aurai atteint mon but.

Actusf : Pourquoi avoir choisit la science fiction ? Parce qu’il s’agit d’une manière forte de mettre en lumière les incohérences et les dangers de notre présent ?
François Rouiller : Je crois que la SF est la forme de culture la plus honnête qui soit. C’est pratiquement le seul mode d’expression artistique qui affirme que le monde, l’homme et la nature changent. L’art et la littérature non SF ont le tort de se complaire dans un (beau) mensonge : celui qui fait de la nature humaine un concept immuable, qu’il faut immortaliser sur la toile ou dans les livres.

Actusf : Vos dessins ont été exposés à plusieurs reprises, quelle a été la réaction des visiteurs ? Etaient-ils amusés, enthousiastes, critiques ? Quel est dans ce cas votre rapport avec eux ? Et y’a-t-il eu des réactions "insolites" ou qui vous ont étonné ?
François Rouiller : En exposant 100 dessins, je craignais d’effrayer les visiteurs par une masse d’informations indigeste. Je fus au contraire agréablement surpris de voir le public s’attarder devant chaque tableau et en déchiffrer consciencieusement les légendes. Une des remarques les plus fréquentes était : " Il faudrait éditer toutes ces illustrations dans un livre ". Maintenant que ce souhait s’est concrétisé, j’espère que le visiteur-type de l’expo se muera effectivement en lecteur !

Actusf : Allez vous poursuivre ce travail par la suite ? Quels sont vos projets ?
François Rouiller : J’espère bien poursuivre cette série d’anticipations, si l’accueil du public m’y encourage. Par ailleurs, je mets la dernière main à un essai sur le thème de la drogue et des toxicomanies dans la science-fiction. Pas de créations personnelles, cette fois-ci, mais une étude historique et thématique. Je travaille aussi à divers projets : un roman, une BD, des dessins grand format réalisés avec des crayons de couleur, des décors de théâtre.

Publié le 19 avril 2016

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