Après Les Machines fantômes en 2019 et Composite en 2022, le français Olivier Paquet délaisse le thriller technologique pour un détour fantasy. Étonnant pour un auteur qu’on sait d’ordinaire amateur de science-fiction. Toujours publié chez L’Atalante, il nous emmène dans une lutte d’influences impitoyable alors qu’une guerre de succession gronde à l’horizon. L’Ost Céleste veut-il jouer la carte de la guerre des trônes ou nous réserve-t-il quelques surprises ?
On ne peut pas dire que le nouveau d’Olivier Paquet soit aisé à aborder, surtout pour le lecteur occasionnel.
Passé un prologue centré sur un mystérieux anneau qui permet d’invoquer une puissance terrifiante à celui qui le porte (et ce n’est pas Sauron), L’Ost Céleste entame une correspondance épistolaire entre le banquier Eugen de Basfortt et la jeune reine Indira IV, correspondance qui servira d’ailleurs de fil rouge à l’intrigue.
À peine a-t-on posé le pied dans l’univers que l’auteur nous jette en plein milieu des festivités avec ce qui ressemble à s’y méprendre à un Succession au cœur d’une simili-Venise fantasmée appelée Jirone.
En effet, l’histoire s’intéresse aux manigances d’un banquier devenu tout puissant au sein de la République de Jirone et protecteur d’un territoire appelé « L’Enclave » où une minorité religieuse — les mélanes — craignent l’intervention des armées de L’Archonte au nom du dogme de l’Immatérialité. Ce banquier, comme nous l’avons vu plus haut, s’appelle Eugen de Basfortt. Vieux mais roublard, Eugen a quatre enfants : Mikael, Wilhelmina, Konrad et Joris. Et l’on ne peut pas dire que les relations entre le père et sa progéniture soient au beau fixe puisqu’il les considère surtout comme des incapables. Malgré tout, Eugen doit faire appel à eux pour s’informer de ce qu’il se passe alentour et notamment dans l’Archipel des Francheterres où le roi Arthur VII a tragiquement disparu en mer laissant la couronne à sa jeune (et inexpérimentée) fille Indira IV. C’est aussi là que le bât blesse car Indira est contestée par sa cousine Siendig qui voudrait bien s’emparer du trône et de l’anneau qui va avec.
Une guerre s’annonce et par laquelle l’Archonte tente de s’immiscer dans la politique de l’Archipel pour mettre au pas les hérétiques qui y vivent.
Conséquence fâcheuse, les Mélanes de l’Enclave pourraient rapidement subir le même sort, privés de leur principal soutien.
Une chose que refuse tout net Eugen de Basfortt qui souhaite avant tout qu’Indira IV conserve le pouvoir et protège les siens.
Tout cela, on le comprend au fur et à mesure des pages mais Olivier Paquet ne nous facilite pas la tâche puisqu’il ne nous prend guère par la main pour expliciter son univers, univers qui manque d’ailleurs cruellement d’une carte en début d’ouvrage. Si le lecteur acharné finira par assembler les pièces du puzzle, il n’en sera peut-être pas de même pour celui de passage.
Mais qu’à cela ne tienne puisqu’une fois dans l’intrigue, l’aventure s’avère classique mais particulièrement efficace.
L’Ost Céleste repose en grande partie sur la confrontation annoncée entre l’Archonte/Siendig et Eugen/Indira. On alterne donc les points de vues de ces deux derniers tout en participant à leur correspondance qui cache, bien évidemment, un message caché.
Olivier Paquet mise donc sur un aspect politique qui va permettre de garder le lecteur en haleine tout du long.
On suit surtout les pensées d’Eugen et sa mainmise sur la république de Jirone, démontrant surtout que l’argent (et les chiffres), c’est le pouvoir.
Eugen n’est pas un combattant ou un héraut, mais il sait décrypter son adversaire et cogner au portefeuille. De ce fait, il prouve une nouvelle fois que la force brute n’est rien si l’on a pas le bon stratège derrière pour mener la lutte.
Et de stratégie, il sera bel et bien question ici puisque tout repose (ou presque) sur les manœuvres d’Eugen pour donner du temps à son alliée de circonstances : Indira IV.
De l’autre côté de l’océan, c’est dans l’Archipel que le lecteur va suivre cette jeune Indira dont le tempérament n’a encore rien à voir avec Eugen.
Jetée directement dans le feu d’une guerre civile et manipulée de toute part pour l’évincer du pouvoir, Indira incarne une autre facette : celle de l’apprentie. Une façon maligne pour Olivier Paquet de montrer au lecteur qu’il ne suffit pas simplement d’être né avec une cuillère en argent dans la bouche pour savoir diriger. L’inné et l’acquis se tirent la bourre au grand dam d’Eugen qui troquerait bien ses enfants contre la jeune souveraine.
Pourtant, dans cette initiation à distance aux arcanes du pouvoir, c’est aussi le contraste offert entre les deux personnages qui charme le lecteur : le vieux briscard d’un côté, la jeune pleine de potentiel de l’autre.
Un duo archi-classique mais toujours efficace.
Au-delà de la réflexion autour de la puissance politique et financière, L’Ost Céleste parle également de spirituel puisqu’il confronte une minorité religieuse à la mainmise de l’Archonte. C’est l’occasion de voir à l’œuvre une autre sorte de pouvoir, plus insidieux et plus versatile mais non moins efficace. Dès lors, le lecteur s’interroge sur la part de vérité que renferme cette religion et sur ce qui relève d’une interprétation.
La réalité chez Olivier Paquet est souvent trompeuse, qu’on soit manipulé par des IAs ou par des hommes.
Bien sûr, L’Ost Céleste est un « roman à twist ».
On se doute très rapidement que derrière la construction fantasy du français se trouve quelque chose d’autre et, plus précisément, de la bonne vieille science-fiction.
Que ce soit avec les dracoptères, des machines imposantes et redoutables, ou avec les batteries radiantes, principales sources d’énergie dans l’Archipel comme à Jirone, le lecteur comprend que certaines technologies sont en total décalage avec le reste. Ce qui ne manque pas de gravement atténuer la surprise finale qui, forcément, semble bien moins pertinente pour le lecteur. Le deus ex machina annoncé depuis la première page avec cet anneau tout-puissant, archétype complet et assumé d’un trope fantasy à la Tolkien, mène à des révélations qui n’en sont pas vraiment.
On aurait presque préféré rester dans le doute, magnifiant ainsi la réflexion autour de la foi et laissant le lecteur seul juge de ce qu’il veut faire de l’histoire qu’il vient de lire.
[...]
Un plan qu’il semble pourtant toucher du doigt lors de la formidable description de sa cathédrale à l’architecture si folle. En l’état, et malgré ces quelques griefs, on dévore le roman, impatient de savoir quelle combine Eugen nous prépare et comment la reine Indira va parvenir à s’imposer. Pour une fois, il n’est pas question de savoir si le pouvoir corrompt mais si certains savent employer leur pouvoir pour honorer leur peuple.
Au final, on pourrait presque croire que L’Ost Céleste se rêve utopie. Presque.
Fausse fantasy et vraie science-fiction ?
Peu importe car L’Ost Céleste offre au lecteur tenace une aventure politique et religieuse qui sait conserver son suspense et son énergie pour garder le lecteur en haleine du début à la fin. Malgré son classicisme, le roman d’Olivier Paquet devrait ravir les amateurs de complots et de manigances. Le compte est bon.
Note : 8.5/10
Nicolas Winter