Un très bon Kay dans un univers que l'on connaît bien et avec des personnages attachants.

Sur toutes les vagues de la mer - Les Chroniques de l'Imaginaire
Article Original

L'armateur Rafel ben Nathan et son associée ont accepté, non sans hésitation, un contrat atypique. Il leur a été demandé d'assassiner le calife d'Abénèven, de surcroît en utilisant les services d'une troisième personne, qu'ils ne connaissent pas. Mais la paye était bonne, et leurs commanditaires, les frères ibn Tihon, qui règnent à Tarouz, sont trop terriblement dangereux pour pouvoir leur refuser quelque chose. La mission ne se déroule pas tout à fait selon les plans soigneusement établis, mais au moins peuvent-ils retrouver leurs mandants et leur dire qu'elle a réussi. Ce qu'ils ne révèlent pas, c'est la qualité des deux objets qu'ils ont rapportés d'Abénèven.

L'un des deux, un diamant vert célèbre par sa taille et sa beauté, sera acquis par le mercenaire Folco Cino d'Acorsi, qu'ils rencontreront à Sorénica, où Nadia, l'associée de ben Nathan, se fera de surcroît remarquer pour ses talents à l'arme blanche. Grâce à eux, Folco apportera au Patriarche, à Rhodias, le cadavre du cadet des frères ibn Tihon, cependant que Rafel négociera le prix du livre à la valeur incommensurable aussi rapporté d'Abénèven. En ajoutant tous ces éléments, Rafel ben Nathan et celle qui reprend peu à peu son nom de naissance, Lenia Serrana, sont assez riches pour commanditer une caraque aux chantiers navals de Séresse.

Le duc par intérim Ricci reçoit les deux associés, toujours accompagnés de Folco d'Acorsi. Celui-ci présente le plan d'invasion de la ville de Tarouz visant à supprimer totalement la menace ibn Tihon, ce qui ne peut que plaire à Séresse, dont les marchands souffrent depuis longtemps de la flotte corsaire des ibn Tihon. L'idée du Patriarche, qui organise cette action, est de rassembler tous les royaumes jaddites pour attaquer Tarouz, à défaut d'essayer de reprendre Sarance, tombée quelques années plus tôt et renommée Asharias.

L'action décrite dans ce roman se déroule quatre ans après celle narrée dans Un éclat d'antan. Si on peut, sans doute, le lire seul, notamment du fait que les deux personnages principaux sont tout à fait nouveaux, je pense néanmoins qu'il est largement préférable d'avoir lu Un éclat d'antan, et d'avoir au moins un vague souvenir de ce qui s'y est passé, étant donné qu'on retrouvera des personnages qui y jouaient un rôle important (Guidanio Cerra, Folco d'Acorsi, Antenami Sardi, pour ne citer que ceux-là), et que des allusions seront faites aux évènements qui s'y sont déroulés. Même si certaines références pointent vers des oeuvres précédemment publiées de l'auteur, notamment Enfants de la Terre et du Ciel, et Les lions d'Al-Rassan, les nouveaux lecteurs de Kay n'en souffriront pas.

Le thème de l'exil, souvent présent dans l'oeuvre de l'auteur, est ici développé dans les deux personnages principaux. L'un est un Kindath, ce qui dans ce monde signifie qu'il ne peut s'installer vraiment durablement nulle part en sécurité, et l'autre est une femme qui a été enlevée puis vendue comme esclave toute jeune, avant de s'évader en tuant son propriétaire. Le thème du changement de vie, lui aussi fréquent, est ici représenté doublement, à la fois "en direct" sous les yeux du lecteur ou de la lectrice, et au travers des réflexions de l'auteur, du "conteur" à son lecteur, sur la façon dont le changement se passe, dont on s'en aperçoit ou pas, et en prenant en compte la façon dont nos inactions sont aussi des choix qui peuvent induire des changements de vie.

Le rythme est soutenu sans être haletant, et le lecteur visite une bonne partie de la Batiare, en plus de la cour de Ferrière, sur les pas de ses héros. En chemin, il découvrira de nouveaux lieux et des personnages inconnus, dont un représentant de Gurçu à la cour de Ferrière plus complexe qu'il ne semblait à première vue. Comme à l'accoutumée, les personnages sont un point fort de l'auteur, notamment les femmes, qu'il parvient à dépeindre à merveille, y compris dans leurs aspects antipathiques sans être caricaturaux, comme le montre Tamir Vidal.

En somme, un très bon Kay dans un univers que l'on connaît bien et avec des personnages attachants.

Mureliane

Publié le 17 février 2025