Du grand art, et je ne peux que recommander la lecture de ce recueil à ceux qui auraient manqué la publication de ces textes dans des recueils antérieurs.

Cinq chemins de pardon - Les Chroniques de l'Imaginaire
Article Original

Ce recueil regroupe cinq nouvelles qui se déroulent toutes sur les planètes voisines de Werel et Yeowe, et décrivent entre autres la colonisation, puis la libération, de l'une par l'autre, avec des points de vue différents. L'un des points de vue est assez fréquemment celui d'un agent de l'Ekumen en Voe Deo, sur Werel, Musique Ancienne.

Trahisons : Yoss s'est fait une idée de l'ancien leader du Parti Mondial, Abberkam. Mais il s'est lui aussi exilé dans les marais pour y vivre en ermite. Comme elle aussi, il a vieilli. Et il est malade. Cette nouvelle est une fine description du rapprochement progressif d'anciens ennemis, et de la façon dont les pires trahisons ne concernent pas les autres, mais soi-même.

Jour de pardon : Solly est l'Envoyée de l'Ekumen au Gatay, sur Werel. Elle pose un problème à ses hôtes qui ont du mal à concilier sa haute situation politique et le fait qu'elle est une femme. En effet, dans leur société, les seules femmes visibles hors de chez elles sont des esclaves. Son travail est de figurer lors des fêtes organisées par le gouvernement de Gatay, dont le Jour de Pardon, durant lequel elle aura un rôle à jouer. Le point de vue dans cette nouvelle alterne entre Solly et son garde du corps, un véote rigide revenu de Yeowe, et pour qui elle représente tout ce qu'il déteste. Comme dans la nouvelle précédente, on assiste ici au rapprochement d'antagonistes. C'est une fine réflexion sur les conditionnements, l'esclavage, et l'évolution des personnes et de leurs rapports.

Un homme du peuple : Havzhiva n'est pas satisfait à Sstse, à apprendre ce que chacun de ses parents peut lui enseigner. Aussi va-t'il toujours plus loin, jusqu'à l'Envoyé de l'Ekumen sur le continent sud de Yeowe. Et là il découvrira enfin sa place et son rythme. Cette nouvelle est différente des deux précédentes en ce qu'on y change de planète. Elle élabore sur le besoin de gouverner, et la difficulté pour un peuple d'esclaves d'inventer des types de rapports sortis de l'ancienne division propriétaires/objets, qui est la seule chose qu'eux-mêmes, leurs parents et leurs ancêtres ont toujours connue.

Libération d'une femme : Née dans une plantation et devenue esclave domestique grâce à sa beauté, Radosse Rakam n'est légalement libérée par son propriétaire, en même temps que tous les autres esclaves de la plantation, que pour être reprise et envoyée dans une autre plantation où elle est maltraitée. Il lui faudra attendre d'arriver en ville, puis sur Yeowe, pour pouvoir enfin conquérir sa véritable liberté. Cette nouvelle est particulièrement intéressante, et centrale dans le recueil en ce qu'on y passe avec le personnage central d'une planète à l'autre, ce qui permet de les voir en miroir. Elle fait réfléchir son lecteur sur la nature et le processus de la liberté, et les différentes formes de l'esclavage.

Musique Ancienne et les femmes esclaves : Musique Ancienne est le chef du renseignement de l'Ekumen à l'Ambassade de Voe Deo, mais il ne peut plus faire son travail, il n'est plus au courant de rien. Frustré, il décide de sortir, passer la ligne de Démarcation et aller voir ce qui se passe en territoire rebelle. Mais il est fait prisonnier. Cette nouvelle aussi est une réflexion sur la liberté, mais elle met aussi en lumière les possibilités, et les limitations, offertes par la vie selon le genre, la classe sociale et la santé que l'on reçoit en naissant. De ce fait, c'est aussi une réflexion sur l'impuissance.

On retrouve donc ici le thème cher à l'autrice du rapport entre liberté et esclavage, que ce dernier soit apparent ou non, qu'il soit lié ou non à la couleur de peau ou au genre, ou à l'âge. Ursula K. Le Guin était déjà âgée quand ces nouvelles ont été publiées, et on y retrouve en filigrane cette position de la "vieille femme" décrite dans Tehanu quelques années auparavant, avec la transparence sociale, les deuils, l'impuissance mais aussi l'éventuelle sagesse qui vont avec. Les récents mouvements sociaux suite aux débordements racistes et sexistes montrent l'actualité de ces textes.

Tout cela est bien sûr abordé sans aucune insistance, dans le style élégant, fin, familier aux lecteurs et lectrices qui connaissent déjà la grande autrice américaine. Ces nouvelles permettent de réfléchir sur des thèmes d'une brûlante actualité tout en gardant la tête froide et sans engagement émotionnel excessif, sans qu'il manque une facette à des problématiques complexes. Du grand art, et je ne peux que recommander la lecture de ce recueil à ceux qui auraient manqué la publication de ces textes dans des recueils antérieurs.

Mureliane

Publié le 9 mai 2023

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