Quelle surprise j’ai eu de trouver, pour moi, une sorte de « Blackwater » au pays du merveilleux, plutôt qu’à celui de l’horrifique.

Petit, Grand - Les blablas de Tachan
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Reprenant la mode de ces couvertures rébus, que personnellement j’adore, voici le retour dans une superbe intégrale, avec nouvelle traduction, beau signet et gardes imprimées, ainsi qu’ornement en pages intérieures, du titre culte du singulier John Crowley : Petit, Grand ou Le Parlement des Fées. Un récit onirique étrange, confondant et entêtant à la fois.

C’est ma première rencontre avec l’auteur, mais je ne peux pas dire que je n’en ai pas entendu parler. Ses sorties ont plusieurs fois fait parler d’elles, que ce soit le titre présent dans les années 90 ou Kra plus récemment, qui vient justement de sortir en poche chez nous. Mais l’auteur est rare et aime peaufiner ses textes, cela se ressent. Ainsi revient chez nous Petit, Grand, initialement sorti en 2 tomes : L’orée des bois et L’art de la mémoire chez Rivages puis Pocket et Terre de Brume puis Points. Que d’aventure depuis 1994 ! 

En découvrant ce texte si souvent vanté, quelle surprise j’ai eu de trouver, pour moi, une sorte de « Blackwater » au pays du merveilleux, plutôt qu’à celui de l’horrifique. Comme McDowell, j’ai eu l’impression d’un auteur maîtrisant à merveille le fantastique et surtout le point de bascule et glissement vers l’étrange, et d’un auteur aimant énormément les histoires de famille, leurs secrets et complexité. Ça tombe bien, moi aussi ! J’ai donc beaucoup aimé la lenteur, la langueur des premiers temps du récit, où il prenait le temps de planter son étrange décor : une maison improbable qui une folie d’architecte et une famille toute aussi haute en couleur aux liens familiaux pour le moins complexes entre eux ! Pénétrer dans son monde fut un peu comme pénétrer dans leurs intimités et celles-ci m’ont réservé bien des surprises.

J’ai beaucoup aimé, ainsi, aller à la rencontre de la famille Boisseau, avec toutes ses ramifications, qu’heureusement nous avions expliquée sur un arbre généalogique des plus pratiques sur les pages de garde. Comme ils se disent eux-mêmes, ce sont les personnages d’un conte, et pour aller vers eux, il faut quitter le monde rationnel pour pénétrer dans l’Orée des bois, leur lieu de vie, qui a se propres règles. Pour autant, tout se fait très facilement, très naturellement. L’auteur nous prend par la main pour nous y conduire et nous y garder à l’aide des histoires de cette famille si riche en relations libres et autres adultères, ce qui complique par mal leur généalogique mais nous offre du grain à moudre. Les suivre au quotidien dans ce lieu où l’étrange pointe régulièrement le bout de son nez fut magique. C’était pile le fantastique que j’aimais.

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D’ailleurs, j’ai oublié d’en parler, mais quelle plume ! Je me suis arrêtée à plusieurs reprises, juste pour le plaisir et de la langue et de l’ambiance, pour imaginer ce qu’il décrivait de manière si simple et onirique à la fois, avec ce flegme et cet humour pince sans rire anglais. Il y avait définitivement un petit air de Lewis Carroll ici. Et que dire de ces nombreux personnages que son écriture si vivante, malgré la langueur du récit, rendait définitivement proche de nous. Je pense surtout à Sophie et sa terrible perte ou encore Auberon et tous ses doutes.

Ursula Le Guin disait que Petit, Grand est un livre qui appelle à lui seul à redéfinir la fantasy. Je n’irais pas jusque là, mais c’est assurément une lecture qui sort du lot, invoquant plus chez moi un fantastique se teintant d’histoires de famille à la Blackwater avec un vernis doux et merveilleux. J’ai aimé m’y perdre et suivant le quotidien de ses membres dans la première moitié très sensible de l’oeuvre, pleines de riches réflexions philosophique sur la vie, le couple, la parentalité, la famille. [...]

Publié le 23 septembre 2025