La Guilde des queues de chats morts est un condensé de bonheur.

La Guilde des Queues de chats morts - Le nocher des livres
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Au concours des titres étranges, La Guilde des queues de chats morts n’aurait sans doute pas le premier prix, mais serait dans le classement sans hésitation. Il est à l’image des œuvres de Phenderson Djèlí Clark, surprenant et intriguant, riche et mystérieux. Et cette novella ne fait pas exception. La preuve ? Son héroïne, Eveen, est une tueuse professionnelle appartenant à cette guilde. Particularité : elle est morte.

Des morts et de l’humour

D’emblée, le ton est donné : Phenderson Djèlí Clark va tout se permettre, pour notre plus grand plaisir et avec brio. Donc, Eveen a été ramenée d’entre les morts pour servir la déesse Aeril, Matrone des assassins. Et elle est d’une grand efficacité. Ne la surnomme-t-on pas l’Éviscératrice ? Souvenir d’un contrat qu’elle a particulièrement peaufiné. Mais il faut dire que la cible le méritait. Enfin, sans doute. Donc, c’est sans crainte que son intermédiaire lui indique la nouvelle personne à expédier (c’est ainsi qu’elle désigne son travail). Mais dès le début, cela s’annonce mal : pas de nom, juste une localisation. De plus, le commanditaire a payé une forte somme pour rester anonyme. Tout cela sent mauvais. Mais pas question de refuser un contrat dûment signé et validé. La déesse ne pardonne pas. Eveen est bien placée pour le savoir : elle en a repris pour cent ans de labeur (d’esclavage ?) de plus parce qu’elle a violé un des serments censément inviolables (comme les lois de la robotique d’Asimov).

Alors autant prendre ça avec humour. Et c’est un peu la morale de cette novella. Devant la douleur et la cruauté, une bonne dose de dérision et de plaisanteries permet de tenir. Et Phenderson Djèlí Clark ne manque une occasion de mettre ce principe en application. Avec cette liste de règles d’assassin (« n°182 : si la cible vous fait la conversation, c’est qu’elle cherche à gagner du temps » ou « n°401 : toujours avoir un bon médecin sous la main »). Ou avec l’utilisation d’onomatopées, nombreuses : « BANG ! BANG ! », « Vlan ! Vlan ! Vlan ! ». Et même dans les jurons : « Par les nibards de feu d’Aeril ». Y compris dans des moments d’horreur, quand des morceaux de corps humains sont en jeu et risquent de quitter leur propriétaire. La mort est traitée avec légèreté. Comme dans les Terribles, ces romans que lit Eveen, la série d’Asheel (Achille) le chasseur de détraqués. Ça m’a rappelé le personnage de Martha Wells, AssaSynth (dans Effet de réseau, par exemple), qui dévore les séries télévisées populaires et souvent jugées lamentables par le reste des personnages. Même si cela peut lui servir parfois. Le détachement est le même vis-à-vis de l’humanité car l’une comme l’autre n’en font plus réellement partie. Et en même temps, les deux s’attachent terriblement à cette humanité. Surtout Eveen, qui garde en elle le fait d’avoir été vivante. Mais problème : quand on est réanimé, tout souvenir de l’ancienne existence disparaît totalement. Enfin, normalement. Car dans ce maudit contrat, une réminiscence semble intervenir. Et mettre un gros grain de sable dans la mécanique si bien huilée habituellement.

Une grande densité dans un texte si court

Ce qui surprend un peu (même si on y est habitué avec Phenderson Djèlí Clark), c’est la densité du monde imaginé. Alors certes, tous les aspects ne sont pas très développés, certains sont juste survolés, nombre de pages (deux cents) oblige. Mais l’ensemble est d’une grande cohérence et d’une grande force. On y est plongé dès les premières lignes et on y croit, malgré l’extravagance de certains éléments de décor, de certains évènements totalement improbables, même si on pense à la magie (le Mirage, par exemple). L’inspiration s’éloigne un peu de celle typiquement orientale du Mystère du tramway hanté ou du Maître des djinns. L’auteur y adjoint cette fois-ci davantage de morceaux d’Occident, voire d’Europe (pas toujours en bonne part, puisque ce sont par exemple les quartiers des gens les plus riches, les plus égoïstes). Mais la magie de l’Orient fonctionne toujours à plein, tant dans la nourriture que dans les arts. Et aussi au sens propre, puisque la magie est omniprésente dans cette novella (même si une petite part de SF, à travers le thème du voyage dans le temps y fait une incursion).

Tout comme les divinités. Robert Jackson Bennett n’est pas le seul à faire intervenir les dieux et déesses dans les affaires des humains (dans La Cité des miracles, par exemple). Phenderson Djèlí Clark lui aussi les met en scène. Avec brio et avec fracas. Et, bien sûr, avec humour. L’apparition de la déesse est un grand moment. D’abord pour l’intrigue. Mais aussi pour les couleurs qu’elle apporte. Par sa présence, mais surtout par ses paroles, fortement inspirées du créole. Et l’on retrouve ainsi l’auteur des Tambours du dieu noir, qui sait intégrer à ses récits cette langue trop peu utilisée. Non pas que je la maitrise. D’ailleurs la lecture de certaines répliques m’a demandé quelques efforts. Mais cela amène une vigueur que j’ai beaucoup apprécié, rendant la scène encore plus vivante.

Après Maître des djinns, l’auteur américain signe une nouvelle aventure décoiffante, dans un univers coloré. De l’humour, des bagarres, du suspens, des moments de doute et de réflexion sur l’existence. La Guilde des queues de chats morts est un condensé de bonheur. Encore une fois, Phenderson Djèlí Clark a parfaitement réussi son pari. Et je lui en suis très reconnaissant.

Publié le 24 juillet 2025

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