Abraham Lincoln n’est pas devenu président. Au contraire, le voilà jugé et condamné à être enfermé au secret à Fort Monroe, afin de ne pas pouvoir mener une révolte. Ce sont les états du Sud qui sont à la manœuvre, craignant la révolte de ceux du nord, qui grondent. Au centre des discussions, l’esclavage, bien sûr ! La République des États-Unis n’est plus qu’une mascarade, dirigée par de riches propriétaires qui nomment à la tête de l’armée leurs amis plus que des militaires méritants. Résultat : une véritable gabegie, inégalitaire au possible ! Jusqu’à Gettysburg…
Une évasion et une fuite
Après ce procès en ouverture de novella, on assiste à l’évasion de certains militaires qui ne supportent plus cet état de fait et veulent se révolter contre le pouvoir tyrannique et injuste. Les troupes se mobilisent à travers le pays et commencent à envisager de se regrouper. Problème, il faut un leader, un chef qui mettrait tout le monde d’accord. Et un nom est sorti du chapeau. Devinez lequel ? Celui de Lincoln, bien entendu ! Il va donc falloir le récupérer, lui qui doit croupir dans sa prison depuis peu. Et tenter de lui faire rallier un endroit sûr. Mais, comme de bien entendu, tout ne peut se dérouler selon le plan.
Un fond historique très riche
Alors, autant le dire tout de suite, je suis une bille absolue en matière d’histoire des États-Unis. Comme beaucoup, je connais les bases. J’ai entendu parler de la Guerre de Sécession. J’ai déjà vu des représentations de Lincoln. Je connais le drapeau des Confédérés. Mais à part cela, mes notions sont plus que vagues. D’où une certaine inquiétude en abordant ce petit ouvrage d’un auteur réputé pour sa SF militaire, Jack Campbell. Et voilà l’origine de ma deuxième angoisse : je connais cet homme de nom, je visualise parfaitement certaines des couvertures de ses bouquins parus chez l’Atalante, mais je n’en ai pas encore lu un seul. Cela fait un certain nombre de handicaps, non ?
Et pourtant, je n’ai éprouvé quasi aucune gêne à la lecture du Suprême sacrifice. Un peu au début, le temps d’intégrer les noms des personnages principaux et leur camp. Mais pas beaucoup plus que pour un autre type de roman. Sauf que là, je me morigénais en me reprochant de ne pas les connaître. Car ils ont existé : Winfield Scott Hancock, John Buford, John Singleton Mosby ou, bien sûr, Robert Edward Lee. Cependant, je le répète, cela ne m’a aucunement empêché de profiter de la lecture. Car Jack Campbell maîtrise son sujet et, également, l’écriture. Il sait rendre captivant un tel récit, malgré l’aridité du sujet et sa solennité.
Enfin, ce qui m’a fait sauter le pas malgré tout, c’est le format : un texte court, cela se lit vite. On ne prend pas autant de « risque » qu’à la lecture d’un gros pavé, qui demande un investissement financier et temporel. Comme le dit Olivier Girard dans l’éditorial du nouveau Hors-Série de la collection UHL : « Le format même du court roman, moins gourmand en fabrication, plus économe, en papier comme en traduction (quand il y en a une), libère la prise de risque. Pour l’éditeur, mais, finalement, pour le lecteur aussi (moins d’argent investi, moins de temps consacré). » Je ne peux qu’être d’accord avec lui. Au moins du côté du lecteur. Et souvent, c’est une bonne surprise.
Un récit vivant mais parfois un peu empesé
Car, dans l’ensemble, on ne s’ennuie pas à la lecture de ce court récit. Les scènes des bataille sont bien menées, permettant de se croire au milieu des combats. On ressent la crainte des combattants, on entend la fureur des armes. Les mouvements des différentes troupes sont narrés avec efficacité et, sans rien y connaître de la chose militaire, j’ai tout compris et j’y ai même pris plaisir (si on peut parler du plaisir de lire la mort de combattants). Mais, entre les scènes d’action, quelques discussions entre les personnages historiques manquent de naturel et de spontanéité. On sent l’auteur dans ses petits souliers face à l’enjeu, face au poids de l’Histoire. Il se montre volontiers moralisateur ou didactique. Alors la présence du professeur Chamberlain, naïf de service, du moins au début, permet de développer les discours de part et d’autre et de justifier certaines descriptions. Mais, par moments, cela manque de fluidité et on sent la volonté de l’auteur de faire cours à son lecteur. Le livre n’étant pas long, cela n’est pas bien grave, mais cela peut, je pense, en agacer certains. Tout comme le côté lyrique de certains décès. L’auteur semble véritablement baigné de cet idéal du sacrifice au nom d’une idée. Car cette novella est quasi hagiographique. Elle valorise l’esprit de sacrifice de certains, prêts à mourir pour la liberté, ou un idéal à sa mesure. Si on accepte cela, la lecture est très agréable.
Ce qui fut le cas pour moi. J’ai vraiment pris plaisir à découvrir ce court texte. Et ce d’autant que je venais de découvrir, presque au même moment, que Winston Churchill (le Premier Ministre lui-même) avait écrit lui aussi une uchronie traitant de cette période. Dans ce texte publié en 1931, il imagine un Sud victorieux dans lequel un écrivain raconte une histoire où le Nord aurait gagné. Mise en abîme spectaculaire. « Et si » : formule magique pour beaucoup, porte ouverte sur des hypothèses magnifiques. Ici, le nom de Gettysburg et sa légende ont donné lieu à une novella très recommandable, qui m’a poussé à me documenter (enfin) sur une période historique capitale pour pas mal de monde. Ne serait-ce que pour cela, merci monsieur Campbell.