La vie est douce sur l'île de Cocanha : les fleurs et fruits y abondent, prêts à se laisser cueillir, et les poissons qui l'environnent se jettent dans les filets des pêcheurs, qui ont plus qu'il n'en faut pour se nourrir et organiser des festins où tous sont conviés. Après l'un de ces festins, le narrateur, Mantone, fait l'étrange expérience de se réveiller en pleine nuit dans une pièce qui à la fois est et n'est pas sa chambre. Ce qui le terrifie véritablement, c'est de ne plus entendre le bruit de la mer. Il parvient toutefois à se rendormir. Le jour suivant, il colmate soigneusement la fissure au plafond qu'il avait repérée lors de son étrange cauchemar, et se rassure en faisant le tour de son île, toujours aussi parfaite.

Mais la nuit suivante, il retrouve la fissure au plafond, la lumière terne, l'odeur de vase, et quand il sort il aperçoit un être hybride un peu plus loin. Peu à peu, Mantone s'enhardit jusqu'à explorer cet environnement nocturne, et se lier avec ses habitants. Il apprend rapidement qu'il est Dessous, que ces pauvres hères envahis de fantômes vivent sous la Cocanha paradisiaque où il passe ses journées.

Ce court roman, en plus d'être une histoire charmante propre à séduire aussi bien un jeune lectorat que les adultes, est une allégorie bien mise en scène des sociétés occidentales actuelles. En effet, on y voit des gens qui profitent de la vie dans leur pays de Cocagne, en toute innocence aveugle, sans se demander le coût que pourrait avoir cette abondance pour d'autres. L'absence de tout manichéisme, de toute accusation, renforce encore le propos.

Celui-ci est servi par une écriture élégante, parfois poétique, qui sert remarquablement des personnages hors du commun, tels Bade, l'hommerlu, sa fille Saline, malade de pollution, et les autres habitants de la terre du Dessous. Le fantastique n'est jamais loin dans cette fable aux fantômes originaux, qui aborde sans y toucher le thème difficile de la difformité, ainsi que celui de la maladie et de la stigmatisation en général dès qu'on s'éloigne du conformisme ambiant.

J'avais bien aimé Le premier jour de paix, et cette nouvelle publication confirme le bien que j'avais pensé de cette autrice que je vous encourage à découvrir. Cette novella, à la belle couverture signée Shahzeb Khan Raza, semble une parfaite occasion pour cela.

Mureliane