« Avec ce livre, j’ai essayé de me débarrasser
définitivement des fantômes de la Guerre civile et de l’après-guerre.
J’y décris les quartiers populaires de l’époque,
la topographie urbaine de la misère, et je vois revivre, comme
si ma plume se mouvait toute seule, des personnages qui sont passés
sous mes yeux d’enfant avant de s’enfoncer dans le terreau de
l’histoire, sans même y figurer, mais en lui conférant
une signification qui mourra avec ceux qui l’ont vécue. Je
vous livre cela tel que je l’ai vécu et je viens témoigner
ici de choses vues, entendues ou devinées qui ont résisté
au premier cinquantenaire mais n’iront pas au-delà.
Je vous livre, sous forme de mots, des êtres qui n’existent
plus, même si la ville qu’ils ont voulu transformer continue
d’exister, semblable en bien des points à celle qu’ils
ont connue, quoique beaucoup moins charitable. Permettez-moi de vous parler
de gens pour qui la mort était un acte en service commandé
; à l’inverse, de vous faire connaître un homme qui
sut acheter le plaisir que les femmes pouvaient lui offrir, et une femme
qui voulut obtenir, à n’importe quel prix, le pouvoir que
les hommes lui avaient toujours refusé. Permettez-moi aussi de
vous entretenir d’une longue vengeance qui a débuté
avec une fillette violée sur un tapis, la vengeance de toute une
génération. Et je viens surtout vous parler de symboles
qui aujourd’hui ne sont plus rien, pas même la chorégraphie
d’un anniversaire, bien que beaucoup d’hommes de bonne volonté
soient morts pour eux. »
Photographie de couverture : Barcelone, collection F. G. L., DR