Frankenstein est de retour

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3 octobre 2018

Frankenstein est de retour

Ça tombe bien, car le livre de Mary Shelley, ode romantique qui reprend à l’épreuve du monde industriel le thème éternel de la quête de l’immortalité, est aussi le premier livre de science-fiction : un homme y crée scientifiquement un autre homme. Or nous publions ce début d’automne Frankenstein 1918 de Johan Heliot.

D’aucuns, d’aucunes auront vu le film Mary Shelley sorti sur les écrans en août. Un film historique qui parle d’écrivains, de libraires et d’éditeurs : ça se tente, me dis-je. Ce fut une soirée agréable. Partant du point de vue que ni la romance ni l’approximation historique ne sont un problème, je dirais que Byron en est un. Il crève l’écran et accapare un peu trop le scénario à mon goût. L’éclosion du roman de Mary Shelley lors du séjour en Suisse, qui lui doit assurément, se résume à la fréquentation dudit Byron, et c’est frustrant. On est loin de la réussite du Jeune Karl Marx, sorti l’hiver dernier, dans lequel contexte historique, vie personnelle et gestation de l’œuvre étaient remarquablement intriqués.

Science et Vie Junior et Le Point Pop ont consacré chacun, à l’occasion de la sortie du film, un dossier à la créature de Mary Shelley. Et aussi : L’Université de Bordeaux organise les 18 et 19 octobre prochains un colloque ouvert au public : « Frankensteins intermédiatiques ». La bédé La Mort vivante, sortie chez Glénat fin août (adaptation d’un livre de Stephan Wul), raconte l’histoire d’une scientifique qui ramène une enfant à la vie à la demande de ses parents. Pour ceux qui fréquenteront les Utopiales du 31 octobre au 4 novembre, il y aura quelques tables rondes sur le sujet.

Frankenstein 1918 : Une appropriation historique et littéraire

Le titre du roman de Mary Shelley est Frankenstein ou le Prométhée moderne. Prométhée est, comme Zeus, fils de titans et titan lui-même. La rivalité entre les deux occupe la première place dans les embrouilles qui font l’histoire du début de l’Olympe. Pour faire court, Zeus tenait à la suprématie divine, quand Prométhée cherchait à émanciper les hommes. Le vol du feu de l’Olympe par Prométhée fut la goutte qui fit déborder le vase. En guise de punition, Zeus l’enchaîna sur un surplomb rocheux afin que des oiseaux lui dévorent le foie… Le docteur Frankenstein de Mary Shelley est un Prométhée « moderne » en ce qu’il n’est pas dominé par un dieu supérieur et qu’il se confronte seul à la malédiction de la création. L’œuvre de Shelley participe pleinement des questionnements qui forgent les courants de pensée du XIXe siècle sur l’asservissement du corps physique et du corps social. Elle était la fille d’une philosophe féministe et d’un des pères de l’anarchisme, tout de même… Johan Heliot, lui, inscrit son roman, un siècle après Mary Shelley, à la suite des travaux du docteur Frankenstein, qu’il met à l’épreuve de la Grande Guerre. L’électricité, à présent industrialisée, permet d’appliquer sa méthode, et les champs de bataille, sur lesquels meure en masse la jeunesse de tant de pays, sont à la fois ressource et lieu pour tester la viabilité de telles créatures : plutôt que de construire des chars, on créera de la chair à canon. Winston Churchill s’en occupera. Et ça marche. Mais l’opinion s’émeut, le conflit s’éternise, les antis l’emportent, et les Prussiens, vainqueurs en 1933, instaurent un protectorat sur la France, la Belgique et l’Angleterre ; Londres est rendue inhabitable par un bombardement à l’arme chimique. Mais, me direz-vous, et le traité de Versailles, et la Seconde Guerre mondiale, et De Gaulle, et l’entente franco-allemande ? Justement, on n’a pas été mis au courant. C’est un double secret que lève pour nous Astrid Laroche-Voisin, fille d’un historien et d’une résistante à l’occupation prussienne : celui d’un XXe siècle alternatif, et celui d’une « guerre secrète » menée entre 1914 et 1933 en parallèle des événements officiels. Les parents d’Astrid ont retrouvé en 1958 l’unique survivant de l’opération Frankenstein et tout fait pour lever le voile sur ce versant de l’Histoire étouffé par la censure. Pour preuve les Mémoire secrets de Churchill ; des extraits d’enregistrement du témoignage de Marie Curie ; et, surtout, le journal intime de Victor, le premier de ces êtres à avoir été créés, attaché à Winston Churchill comme à un père, sauvé de la folie par Marie Curie et de la malédiction qui pesait sur la créature de Mary Shelley par les parents d’Astrid. Ah. Mais ne s’agirait-il pas d’une uchronie ? À vous de voir.

Mireille