La plume acérée et brutale de Martine Desjardins délivre un récit sombre, original et sans concessions. J’ai été envoûtée pendant 200 pages par les yeux de Méduse et cette relecture audacieuse et insolente d’un mythe millénaire qui mérite d’autres réécritures aussi brillantes que celle-ci.

Méduse - Les mots delivrent
Article Original

Abominations, Monstruosités, Dégradances, Éhontitudes, Ignominies, Affrosités… La narratrice ne manque pas d’épithètes et de néologismes pour qualifier l’objet de sa honte. Dans ce roman gothique aux accents poétiques morbides, Méduse est mise au ban de la société à cause de ses yeux qui pétrifient. J’y vois ici une analogie aux jeunes filles que l’on envoyait si facilement dans des « instituts » spécialisés pour un oui pour un non : si elle attirait trop les convoitises de ces messieurs, si elle avait commis une faute impardonnable, si elle refusait de se conformer à ce qu’on attendait d’elle…

Puis j’ai vu dans ce récit une double lecture : métaphore filée de la honte de la sexualité féminine, mais aussi le carcan dans lequel la société essaie de nous corseter pour que l’on entre dans le rang : en tant que femme, il faut être jolie mais pas trop attirer les regards, apprêtée mais pas trop pour ne pas ressembler à une prostituée, intelligente mais pas plus que les hommes, affirmée mais pas trop pour ne pas écraser la parole des hommes. Méduse représente tout cela. Elle le dit elle-même :

Cet asservissement assure notre obéissance aux normes notre crainte du qu’en dira-t-on, notre subordination aux critères de beauté, notre soumission à la conformité.


Méduse est soumise au bon vouloir des hommes sa vie durant : son père tout d’abord, qui la traite comme une moins que rien et l’envoie dans cet institut. Les notables de la ville ensuite, qui se serviront d’elle pour satisfaire leurs envies malsaines et cruelles. Même celui qu’elle rencontrera plus tard et dont elle tombera amoureuse. Pour briser ce joug de la servitude et de l’asservissement, Méduse n’a qu’une solution, accepter la cause de tous ses maux et assumer enfin qui elle est. Pas un monstre difforme, mais une femme forte et sûre d’elle.

J’étais prête à l’affirmer maintenant : j’étais Méduse. L’éternel féminin. La manifestation du chaos primordial. La destructrice des miroirs du monde. Je n’avais plus rien à craindre – ni des reflets ni des ombres.


La plume acérée et brutale de Martine Desjardins délivre un récit sombre, original et sans concessions. J’ai été envoûtée pendant 200 pages par les yeux de Méduse et cette relecture audacieuse et insolente d’un mythe millénaire qui mérite d’autres réécritures aussi brillantes que celle-ci.

Publié le 26 avril 2024

à propos de la même œuvre