C’est, à mon sens, dans la construction des certitudes dans l’esprit du lecteur et du protagoniste, puis leur habile et systématique démolition, qu’est le vrai intérêt de la novella.

Sawyer - Rédemption - lecultedapophis
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Rédemption est une novella de 117 pages s’inscrivant entre les tomes 2 et 3 du cycle Lazare en guerre de Jamie Sawyer. L’Atalante a d’ailleurs choisi de suivre la numérotation adoptée sur Goodreads, ce qui fait que le dos porte le numéro 2.5, et la couverture la mention « intermède ». Si vous suivez ce blog, vous êtes familier de cette tendance récente des auteurs anglo-saxons à publier des textes courts s’insérant avant ou entre les romans de leurs cycles (pour les livres proprement dits -préludes ou nouveaux tomes s’insérant entre deux tomes existants, parfois écrits des décennies auparavant-, cela se fait depuis longtemps), et permettant soit d’explorer d’autres pans de l’univers, soit de revenir plus en détails sur certains personnages ou événements. C’est dans ce dernier cas que nous sommes ici : Rédemption se déroule quelques heures avant la fin du tome 2 du cycle, et explique son coup de théâtre final.

Je tiens à saluer l’initiative de l’Atalante de proposer au lecteur non-anglophone une de ces novellas intermédiaires, car il y en a de plus en plus et car les éditeurs français les ont jusqu’ici consciencieusement ignorées.

Nous suivons un nouveau personnage (encore jamais introduit dans le cycle), Taniya Coetzer, mécanicienne sur le cargo commercial franchisé Edison. La novella commence in media res, via un flashforward / une prolepse d’une page, avant de revenir en arrière quelques heures plus tôt. Vous pourriez donc croire que Jamie Sawyer sabote d’emblée tout suspense, en vous montrant l’héroïne fuyant dans les couloirs d’une station spatiale envahie par les Krells (pour ceux qui ne connaissent pas le cycle Lazare en guerre : des extraterrestres, entre le poisson et l’insecte, possédant une redoutable biotechnologie et inspirés à la fois par le xénomorphe d’Alien et les Tyranides de l’univers de Warhammer 40 000). En fait, il n’en est rien : l’auteur va installer des certitudes et des stéréotypes (en apparence seulement) pour mieux vous surprendre tout au long du texte. Et, de plus, ce dernier se révèle hautement haletant.

Taniya, 21 ans, est sortie de prison il y a deux ans, et depuis, passe de vaisseau en vaisseau et de boulot en boulot afin de faire le long voyage entre son monde natal, l’Arcologie de Zeta Reticuli (je rappelle aux distraits que le système en question est celui où se situe l’action d’Alien et de Prometheus : et hop, un clin d’œil à la saga de plus !), et la station spatiale Cap-Liberté (la plus grosse base militaire de l’Alliance en bordure de la zone de quarantaine Krell), où se trouve sa mère, Renée. Ce voyage, c’est la catharsis de Taniya pour expier la faute qui lui a fait endurer 4 longues années de pénitencier, c’est l’occasion d’obtenir la rédemption (d’où le titre du texte) de sa génitrice (qui n’est venue la voir en taule qu’une seule et unique fois). Vous découvrirez les tenants et aboutissants de l’affaire en lisant le livre.

Cependant, la base opérationnelle avancée Cap-Liberté connaît des problèmes techniques récurrents depuis une bonne semaine, et peu après l’arrivée de l’Edison, leur cause réelle se dévoile d’une façon… explosive. « Bof ! », allez-vous me rétorquer, « on la connaît la cause, ce sont les Krells aperçus dans le flashforward ! ». Ce à quoi je vous répondrai que les choses sont en fait beaucoup plus subtiles et complexes qu’elles n’en ont l’air de prime abord  !

Sans vous dévoiler le fin mot de l’histoire (je vous dirais juste à ce sujet que j’ai cru pratiquement jusqu’à la fin que cette novella pouvait être lue par un complet néophyte du cycle, mais en fait elle nécessite vraiment d’avoir lu les tomes 1 ET 2 -c’est un tome 2.5, après tout- pour parvenir à saisir le twist final), je vous dirais que ce texte très immersif (raconté à la première personne du singulier selon le point de vue de Taniya, avec des flash-backs occasionnels sur l’événement qui l’a conduite en prison) vous projette réellement dans la tête d’une civile qui voit son monde s’effondrer (ses certitudes sur les gens aussi bien que l’infrastructure physique autour d’elle) alors qu’elle est poursuivie par un terrifiant prédateur extraterrestre. On ressent très bien son angoisse, non seulement celle d’être tuée par le monstre, mais aussi celle de ne pas obtenir le pardon de sa mère. De fait, cela rappelle assez fortement les films Alien 2 et surtout 4, via cette course contre la montre et la mort dans un vaisseau (ici une station, mais on va pas chipoter, hein !) promis à la ruine, avec une bête immonde sur les talons. L’histoire est donc haletante et contée sur un rythme élevé.

Au passage, on constate que l’auteur a un faible pour les personnages torturés sur le plan psychologique, même si Taniya est à des années-lumière de la noirceur d’un Conrad Harris.

Je le disais, la fin est réussie (bien que je me demande ce que vont devenir les données et ce qu’elles contiennent), bien qu’assez prévisible (ce qui n’enlève rien à son impact émotionnel). La novella dans son ensemble a aussi pour gros intérêt d’expliquer ce qui est arrivé à la base Cap-Liberté telle qu’on la découvre à la fin du tome 2. Apparemment, sa lecture serait un gros plus pour mieux saisir le début du tome 3.

Un autre intérêt (bien qu’à mon sens mineur) du texte est qu’il vous en apprendra un poil plus sur les nations ou colonies membres de l’Alliance (dont l’Arcologie de Zeta Reticuli, seule et unique aventure coloniale de la République d’Afrique du sud), bien que cet aspect soit à mon avis trop léger pour en constituer l’attrait principal. De même, si la baston est présente, elle est là aussi un peu trop légère pour constituer l’argument de vente principal de Rédemption. C’est, à mon sens, dans la construction des certitudes dans l’esprit du lecteur et du protagoniste, puis leur habile et systématique démolition, qu’est le vrai intérêt de la novella.

Cette novella, qui se place entre les tomes 2 et 3 du cycle de SF militaire Lazare en guerre, permet de mieux comprendre le coup de théâtre de la fin de La légion. Se déroulant quelques heures avant celle-ci, elle nous fait suivre Taniya Coetzer, jeune femme récemment sortie de prison qui vient chercher sur la station spatiale Cap-Liberté la rédemption auprès de sa mère, alors que l’installation est victime de problèmes techniques récurrents qui trouveront très bientôt une sinistre explication. Explication qui impulsera un texte au rythme enlevé, course contre la montre et la mort très immersive évoquant fortement Alien 2 et (surtout) 4. Le principal intérêt de ce « tome 2.5 » est que l’auteur bâtit, dans votre esprit et celui de la protagoniste, certitude sur certitude pour mieux les démolir, avec une redoutable habileté. C’est donc un roman court hautement recommandable.

Le culte d'Apophis

 

 

Publié le 19 février 2018