Dans une contrée frappée du sceau d’un archaïsme vaguement proto-industriel, même s’il est fait allusion à des armes à feu, Véris est chargée par le tyran qui domine les lieux, de retrouver ses enfants égarés dans les bois à proximité de son château. Une quête périlleuse pour quiconque pénètre sous les frondaisons mais elle n’a pas vraiment le choix. Les bois du Nord sont en effet une contrée périlleuse car il est difficile de distinguer leur lisière de la frontière intangible de l’Ormévère, territoire où se terrent des entités primordiales polymorphes et mortifères. Des choses faisant paraître bégnine la monstruosité du Tyran.
Troisième court roman de Premee Mohamed paru en 2025 chez L’Atalante, avant un quatrième annoncé pour septembre (et désormais disponible), Comme l’exigeait la forêt relève d’une fantasy sombre, revisitant l’univers du conte dans une optique horrifique et résolument weird. On y retrouve en effet les ressorts classiques du genre : tyran sanguinaire, emprise violente sur la population, magie, quête et héros, mais aussi quelques créatures surnaturelles un tantinet effrayantes. Ici tout est cependant subtilement gauchi, empreint d’une étrangeté inquiétante, voire morbide. Le merveilleux laisse place à une esthétique méphitique, une atmosphère anxiogène pervertie par les miasmes de la corruption et une ambivalence délétère. D’aucuns pourraient comparer l’Ormévère à la forêt des Mythagos de Robert Holdstock, voire à l’univers poisseux du film Legend de Ridley Scott, mais sans nains grotesques, sans blanche licorne, sans paladin maladroit et sans fée espiègle. Premee Mohamed opte plutôt pour un cadre malsain et trompeur où les apparences sont truquées, en proie à une hybridation malsaine. Le héros y est d’ailleurs une femme à qui on reproche à plusieurs reprises de porter un prénom d’homme, trompant son monde sur sa nature véritable.
Véris ne correspond en rien à l’archétype du dur-à-cuire expérimenté, prêt à en découdre par pure fierté masculine. Bien au contraire, âgée, fatiguée et résignée, elle a subi une existence qui ne lui a rien épargnée, ni l’âpreté du quotidien, ni le deuil, ni l’humiliation. À ses yeux, l’innocence n’est qu’un vœu pieu et le monde recèle surtout bien des souffrances et des déceptions. À charge pour elle pourtant de retrouver les enfants du Tyran, non par principe ou par pitié, mais parce qu’il en va de sa vie et de celle de ses proches. On tutoie ainsi l’angoisse qui lamine sa volonté et arase l’espoir qui la pousse à braver tous les dangers. Par son truchement, on ressent l’hostilité de l’Ormévère et la duplicité des créatures qui hantent les lieux. On est oppressé en permanence, terrorisé par des monstruosités qui promettent pire que la mort, mais aussi par la perspective de l’échec et de ses conséquences. On est enfin saisi par l’urgence de la situation, pour ainsi dire sur le qui vive, conscient qu’il n’y a guère d’issue autre que celle d’accepter un moindre mal.
Comme l’exigeait la forêt tient donc toutes les promesses d’un conte horrifique où la monstruosité n’est pas forcément celle que l’on croit.