Dans Comme l’exigeait la forêt, Premee Mohamed livre un récit sombre et tendu, qui prend racine dans la tradition du conte. Mais pas de prince, pas de quête lumineuse : ici, on avance à pas lents dans une forêt pleine de règles arbitraires et de silences menaçants.
Au centre de cette fable noire, le personnage de Véris s’écarte des figures classiques de la fantasy. Elle n’est ni jeune ni invincible, encore moins enthousiaste. Elle retourne dans la forêt parce qu’elle y est contrainte, pas par héroïsme. Ce ton désabusé qui imprègne tout le récit donne à la novella une voix singulière. Véris ne cherche pas à vaincre ou à briller, mais simplement à survivre, à tenir debout encore un peu, à défaut d’espérer.
La forêt de l’Ormévère, pivot du récit, n’est pas un décor de fantasy comme les autres. Elle n’a rien d’un lieu de merveilles ; c’est un espace clos, étranger, opaque. Elle impose ses propres règles, et ce sont elles qui dictent le rythme du texte, plus que l’intrigue elle-même. On ne progresse pas selon une logique de résolution, mais selon une tension interne, une spirale de confrontations aussi bien mentales que physiques. La magie n’a rien d’un outil maîtrisable : elle est sauvage, ancienne, souvent injuste.
Le style de Mohamed épouse cette rigueur. La langue évite les fioritures sur la forme comme elle évite les explications toutes faites sur le fond. Ce dépouillement peut d’ailleurs surprendre, voire frustrer : le monde autour de la forêt reste flou, les enjeux politiques sont à peine esquissés, et certains personnages n’existent que dans leur fonction. L’autrice préfère manifestement concentrer son récit sur l’essentiel : une femme seule et mature, face à ce qu’elle pensait avoir laissé derrière elle.
Cette radicalité formelle et narrative donne à la novella un ton dur, parfois glaçant. Il n’y a pas de catharsis évidente, pas de réponse claire. Ce qui compte ici, ce n’est pas ce que Véris affronte, mais ce qu’elle accepte… et ce qu’elle refuse aussi.
Comme l’exigeait la forêt est une lecture brève mais lourde, bâtie autour d’une idée simple : il y a des endroits qu’on ne quitte jamais vraiment, et des blessures qu’on n’a pas à expliquer pour qu’elles pèsent encore et toujours. Ce texte prend le parti de l’épure, de la tension et du non-dit. Pour peu qu’on accepte de le lire selon ses propres règles, il laisse une impression durable, à la manière de ces histoires qui ne cherchent pas à séduire, mais à mordre.
Gillossen