Voile vers Sarance était un bon roman pour qui connaissait déjà et appréciait Kay. Le Seigneur des empereurs est d'un tout autre niveau, hissant l'ensemble du diptyque à des hauteurs vertigineuses, dignes du meilleur de sa bibliographie.

Le Seigneur des empereurs - Bifrost

Second volet du dyptique La Mosaïque Sarantine, Le Seigneur des empereurs fait suite à Voile vers Sarance, chroniqué dans le Bifrost 97. Il introduit un nouveau personnage, Rustem, un médecin Bassanien envoyé espionner Sarance, et qui, comme Crispin, est un autre étranger portant un regard extérieur sur les Sarantins. Un homme ordinaire évoluant, bien contre son gré, au coeur des intrigues tissées par trois femmes exceptionnelles pour s'emparer du pouvoir ou le conserver. Kay a toujours particulièrement soigné ses personnages, tout spécialement les féminins, mais il atteint sans doute ici le sommet de son art en la matière. S'il nous place au point où le paradigme bascule, où l'Histoire prend un nouveau cours, dans les pas des souverains et autres hauts personnages, il n'en oublie pas pour autant le sort des gens modestes. D'ailleurs, les scènes de plus grande envergure ne sont pas situées à la fin du roman, mais bien avant, et la conclusion met à nouveau en lumière l'art du mosaïste et celui qui donne vie.

La première partie (environ 240 pages) nous fait croire que le rythme restera aussi lent que dans le premier volet ; la seconde nous détrompe, faisant s'accélerer les événements et réservant au lecteur ébahi des scènes d'une intensité dramatique absolument extraordinaire. Si Voile vers Sarance pouvait laisser penser que le diptyque pouvait relever, dans un monde imaginaire où le surnaturel est réel, d'une allégorie du règne de Justinien et de Théodara, dans l'Histoire réelle, Le Seigneur des empereurs, en revanche, donne à ces personnages, ainsi qu'à l'équivalent de Bélisaire, un destin totalement inédit. Ainsi, la remarquable précision de la reconstitution de la Byzance de l'époque, jusque dans le comportement de ses souverains ou dans les citations à peine déguisées de L'Histoire secrète de Justinien, par Procope de Césarée, est mêlée à un cours de l'Histoire différent, et bien sûr à des phénomènes magiques.

Voile vers Sarance était un bon roman pour qui connaissait déjà et appréciait Kay. Le Seigneur des empereurs est d'un tout autre niveau, hissant l'ensemble du dyptique à des hauteurs vertigineuses, dignes du meilleur de sa bibliographie (qui regorge pourtant de très grands romans de fantasy historique). On ne pourra que recommander à qui veut découvrir la prose du Canadien de s'y intéresser (même si il devra faire preuve de patience, tant la mise en place des dominos est lente—mais leur chute ébouriffante), et on conseillera même à ceux qui ne l'apprécient pas d'habitude, de se faire violence, tant les événements d'une certaine nuit fatidique sont contés par l'auteur de manière extraordinaire, parfaitement servis par la remarquable traduction inédite de Mikael Cabon.

Apophis

Publié le 23 février 2021