2150 : sur la côte australienne, sur fond de mer omniprésente et de lutte des classes larvée, une communauté se déchire autour du regard à porter sur la science, la nature, le progrès… et l’avidité économique jamais découragée.
Côte australienne, 2151. La petite ville balnéaire de Seahaven, fondée par onze familles après la proclamation de la zone néo-traditionaliste (une idéologie qui rejette désormais la plupart des manipulations génétiques et technologiques ayant conduit ailleurs à diverses formes d’humanité augmentée), apparaît comme un havre de paix et de confort conservateur dans un monde de métropoles globalement confrontées à la surpopulation, à la précarité économique et à la lutte néo-libérale forcenée. La jeune Saha, du haut de ses seize ans, n’y mène pourtant pas une vie facile : orpheline élevée par sa tante, femme de ménage pour les riches habitants du lieu, elle est de plus une véritable paria au lycée de l’enclave, puisque, dans une société adolescente dominée par les joies de la mer (natation, plongée, navigation ou surf), une terrible blessure d’enfance, mal cicatrisée, lui interdit tout contact avec l’eau salée omniprésente. Il faudra pourtant qu’à l’instigation de l’une des plus remarquables pestes de sa classe elle soit jetée à l’eau et manque de se noyer pour que, de révélation incroyable en révélation incroyable, tout se mette alors à changer drastiquement…
L’auteur allemand, justement célébré pour de petites merveilles telles que Des milliards de tapis de cheveux (1995) ou de sévères incisions dans l’anticipation chaotique telles que En panne sèche (2007) réussit ici un beau détournement d’un univers lycéen qui aurait pu être d’abord scénarisé par un Rob Thomas, à l’image de la fameuse série-culte Veronica Mars (2004) : la sourde lutte des classes, avec son sombre cortège d’oppressions rampantes (vis-à-vis des races, des handicaps, des déviations – et de l’altérité d’une manière générale) qui l’accompagne presque automatiquement, au lycée et ailleurs à Seahaven, sert ici de toile de fond plutôt rusée à un décryptage d’idéologies qui ne sont pas toujours celles qu’elles paraissent d’abord, de menées techno-économiques qui savent encore et toujours se dissimuler sous des principes d’apparence humaniste, et d’une réflexion adroite sur le complexe rapport anthropologique qu’entretiennent la science, la nature et le progrès (on s’apercevra à la lecture que certains travaux de Philippe Descola ne sont peut-être pas si loin – même si c’est bien du côté de Hugo Verlomme et de son Mermère de 1978 que cet Aquamarine regarde le plus directement). Il est donc particulièrement dommage que les deux suites de ce roman, Submarin (2017) et Ultramarin (2019), n’aient jusqu’à présent pas été traduites en français.