Les amateurs et amatrices de nouvelles ne peuvent qu’y trouver leur bonheur. Et celles et ceux qui n’ont pas encore lu cet auteur n’auront plus aucune excuse.

Détails de l'exposition - Le nocher des livres
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Jean-Claude Dunyach est un grand. Auteur de science-fiction depuis les années 80, il trace son chemin à travers le temps. À traiter ses thèmes favoris, personnels ; à creuser un sillon qui marque les esprits par sa justesse et son éclectisme : de la SF, mais aussi un peu de fantastique. Et toujours le souci de l’humain, dans toute ses particularités, dans toutes ses angoisses, même les plus profondes, même les plus charnelles. Avec Détails de l’exposition, une anthologie présentée de façon maline et plutôt esthétique (les rabats et l’intérieur de couverture sont mis à contribution), L’Atalante offre à ses lectrices et lecteurs une belle porte d’entrée de l’œuvre de cet écrivain précieux.

Une dominante SF

Contrairement à un Claude Ecken, né dans les mêmes années cinquante et dont le superbe recueil L’Échelle de Reuters (Flatland) est paru récemment, Jean-Claude Dunyach ne puise pas son inspiration dans la science. Elle est un peu là, sous-jacente, mais plus comme élément de décor ou d’intrigue secondaire, pas comme centre de l’attention. C’est ainsi qu’il aborde le cyberpunk, de façon un peu annexe, dans « Les nuits inutiles », où le protagoniste, être numérique, ne supporte plus son existence trop longue et cherche un moyen de la faire varier, quitte à disparaître. À être capable de mourir. Mais aussi de manière plus frontale avec « La stratégie du requin », publiée pour la première fois en 1998 (une dizaine d’année après la naissance et apogée de ce mouvement qui mérite le détour, comme le montre l’admirable Futurs no future. Que reste-t-il du cyberpunk ? d’Antoine Daer – ActuSF). On y croise un être complètement numérique, qui tourne à une vitesse bien supérieure à celle des humains (thème classique, comme on peut le voir par exemple avec Octomes de Pierre Raufast – Aux forges de Vulcain – ou Les Annales des Heechees de Frederik Pohl– Mnémos) et se trouve aux prises avec une entreprise aux méthodes de mafieux désireuse de découvrir un message venu des étoiles.

Or quand il nous entraîne dans l’espace, Jean-Claude Dunyach l’utilise de façon plutôt classique, mais surtout soucieuse de comprendre les motivations des personnages. Comme dans « Casser la coquille », où l’humanité se trouve confrontée à une autre espèce, qu’elle agresse. Et qui répond, avec une force et une efficacité sans commune mesure avec les possibilités des femmes et des hommes. De quoi rabaisser un peu notre ego démesuré. Ou dans « L’Âge d’or du réel » qui met en scène des robots et autres êtres électroniques en quête d’un avenir, bien après la disparition des êtres humains. Idem dans « La station de l’Agnelle » où l’espace ne semble qu’un décor, qu’un prétexte pour explorer l’âme humaine, comme on dit pompeusement. Avec l’idée de sacrifice comme questionnement.

Des portraits, surtout

Car, à la différence d’un Ayerdhal, né deux ans après lui, mais hélas mort voilà déjà dix ans, le Toulousain de naissance n’utilise pas ses textes pour clamer sa révolte, son dégoût du monde. Il a plutôt tendance à porter sur lui un regard un peu triste, un peu mélancolique, un peu désabusé. Il en repère les travers et en montre les conséquences sur ses personnages. Car Jean-Claude Dunyach, dans ces nouvelles, est surtout portraitiste. Quitte à aller dans les extrêmes, voire la folie. Dans « Autoportrait », le personnage principal se transforme en œuvre d’art, cédant progressivement des parties de son corps (en commençant par le pénis) au musée, devenant lui-même un pantin fait de prothèses. Même fascination pour le corps et ses possibles transformations dans « Les nageurs de sable » où des explorateurs, abandonnés par la technologie sur une planète hostile, voient quelques-uns de leurs descendants s’adapter aux conditions locales et leur corps changer.

Et cela peut être minime, mais centre d’une histoire d’amour, sentiment très présent dans cette anthologie. Le point SF de « Dans les jardins Médicis », cette capacité de vendre une partie de sa mémoire, pour oublier ou gagner de l’argent, est avant tout la base d’une rencontre d’une femme et d’un homme dans un jardin aux pouvoirs mystérieux. Et de ce qu’il peut advenir d’une relation où l’oubli impose son rythme. Mais aussi l’amour comme remède à l’uniformisation des goûts : « Une saison de vendanges », court texte savoureux imagine un avenir où, suite au réchauffement climatique, les vignes ont été modifiées jusqu’à devenir gigantesques. Mais, surtout, sans réelle spécificité, sans typicité, gommant ainsi les particularités et supprimant le réel intérêt du vin. Heureusement, l’amour va apporter une solution.

« Le temps, en s’évaporant », d’une remarquable poésie, s’interroge sur la place des femmes dans une société trop rigide, trop hiérarchisée, trop bloquée par religion et tradition. Mais aussi sur le sens du sacrifice, encore. Pour finir, « Déchiffrer la trame », à partir d’une merveilleuse idée, imagine notre capacité à lire dans la trame d’un tapis tissé voilà des centaines d’années la vie de la personne qui l’a créé. Émouvant et tendre.

Mais un peu de fantasy, tout de même

Dernier point dominant de cette anthologie, la fantasy. Car Jean-Claude Dunyach aime bien également plonger ses mains sous le capot de ce genre littéraire proche de celui des contes. Afin d’en extirper les entrailles, les mécanismes. Et, soit de produire un récit respectant les codes, avec mélancolie encore : « La chevelure du saule ». Soit en les dynamitant. De la même manière que Catherine Dufour dans, entre autres, Danse avec les lutins. Mais il n’en est pas à son coup d’essai en la matière : sa trilogie mettant en scène un troll pas si borné que la sagesse populaire veut bien le croire en est une preuve évidente (L’Instinct du troll, L’Enfer du troll et L’Empire du troll). D’ailleurs, la dernière nouvelle de cette anthologie réserve une bonne surprise, pour celles et ceux qui n’ont pas lu Le temps, en s’évaporant (L’Atalante, 2005), un recueil de nouvelles de Jean-Claude Dunyach. En effet, « Le client est roi » met en effet en scène ce bon vieux troll, aux prises une fois de plus avec les excès du capitalisme, et un de ses parangons sous les traits d’un client fortuné complètement déconnecté des réalités et aux caprices dignes de ceux de Jody Bannon, le milliardaire égoïste et cintré de Viser la Lune de John Scalzi (L’Atalante).

Jean-Claude Dunyach peut enfin aller jusqu’au bout du bout dans « « Sucre filé » où tel est pris qui croyait prendre. Mais où le lecteur doit avoir l’estomac bien accroché s’il ne veut pas risquer une indigestion.

Lecture nécessaire pour qui veut découvrir Jean-Claude Dunyach, Détails de l’exposition est une recommandation tout à fait logique pour ce Noël tant cette anthologie présente de qualités : bel objet, intelligemment conçu, au contenu varié mais toujours riche (les nouvelles sont presque toutes de bon, voire très bon niveau). Les amateurs et amatrices de nouvelles ne peuvent qu’y trouver leur bonheur. Et celles et ceux qui n’ont pas encore lu cet auteur n’auront plus aucune excuse.

Publié le 10 décembre 2025