Le ton et le langage sont brut de fonderie, pas de langue châtiée et précieuse ici. Ce côté rugueux donne du crédit à l’histoire et renforce la crédibilité des propose et permet une meilleure immersion dans l’aventure. J’ai été conquise par l’ambiance, le ton plausible de l’annaliste qui ne tombe jamais dans l’angélisme et qui évite le piège d’un cynisme facile.

Cook - Les livres du nord - Albédo
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Jusqu’à cette semaine, je ne m’étais pas aventurée dans le jardin de Glen Cook et de La Compagnie Noire; l’importante œuvre de l’auteur ne titillait que modérément mon intérêt. La curiosité se manifestait régulièrement, mais cette dernière n’était point suffisante pour franchir le cap. C’est une critique d’Apophis, qui a secoué le cocotier et regonflé mon envie de me frotter aux rustres de cette unité (ainsi que ses chroniques successives en la matière).

J’avoue que la fantasy classique qui propose les quêtes initiatiques d’un jeune garçon ignorant tout de la prophétie dont il est l’objet ont fini par me lasser, tout comme les lourdes et habituelles ambiances médiévales européennes. Pour ce premier tome des Livres du Nord, difficile de placer l’intrigue dans un univers  aussi classique.

 

La pluie, le vent, le froid et la glace attendent inlassablement les hommes de la Compagnie Noire. Quand l’élément liquide ne cherche pas à les noyer ou les congeler, c’est un vent aride qui parvient à les dessécher, ou bien une chaleur moite qui les berce d’une torpeur traîtresse. Ou un redoutable homme-panthère si vif et mortel que les sorts l’effleurent, les épées le caressent et les flèches le chatouillent. L’adversité est le lot quotidien de ces mercenaires sans foi, ni loi – quoique cette qualification si facile reste à prouver.

Notre fameuse unité, forte de quelques centaines d’hommes, trouve un employeur ambitieux et obscur en Volesprit. Ses particularités résident en un masque qui dissimule son visage en permanence ainsi que de nombreuses voix, souvent féminines, charmeuses, froides ou effrayantes suivant les circonstances. Ces hommes d’élite ont pour tâche de soutenir l’effort de guerre de la Dame en proie à une rébellion dans le Nord. Leur mission est claire comme de l’eau croupie, le danger omniprésent et surtout multiforme.

Cette Dame, une puissante magicienne, fut libérée de sa prison éternelle en compagnie de ses Dix Asservis (dont Volesprit) il y a dix ans de cela. Depuis, ces puissances malfaisantes cherchent à reconquérir le terrain perdu et asseoir leur domination sur le monde. Les rebelles s’y opposent avec vigueur et surtout l’aide des 18 mages qui constituent le Cercle.

Le cadre de la trame est brossé, et bien que nous ayons à priori une lutte du Bien contre le Mal, cette dichotomie une fois la lecture achevée est loin d’être aussi limpide. Les rebelles n’hésitent pas à commettre des exactions à qui mieux-mieux, à monter des coups tordus ou commettre des crimes odieux afin d’enrayer voire de mettre fin au règne de la Dame. De leur côté, les mercenaires se conduisent en mercenaire, mais ne sont ni dépourvus de cœur ni d’empathie.

Nous sommes bien dans un récit de Dark fantasy, à tel points que le camp du « Bien » n’existe finalement pas, et cette grandeur n’apparaît dans le roman que par fulgurance, par l’intermédiaire d’actions et de comportements individuels : empêcher le viol d’une jeune fille, porter secours à un vieux, l’entraide entre camarade,…

Sombres sont l’ambiance et le propos. Pour autant, je n’achève pas ma lecture sur avec le cœur lourd, l’esprit submergé par le pessimisme, ou les tripes retournées de dégoût. Je suis enchantée de cet univers obscur, brutal et âpre car Glen Cook nous offre un roman fort, captivant et finalement équilibré. La noirceur niche dans les événements, les camps qui s’opposent, mais rarement dans le cœur des hommes de la Compagnie Noire. Il ne s’agit en rien d’angelots ou de paladins, cette unité demeure composée essentiellement de salauds, de criminels, de voleurs et d’autres personnes de la même engeance, mais ils démontrent des qualités qui compensent partiellement les erreurs ou errements du passé, et les tares présentes. De plus, les événements nous sont contés par Toubib qui ne partage pas ces vils traits de caractère, ni les compagnons à qui il prête vie. Certes, nous avons de la rancune et de la violence, mais également un fort esprit de corps, une grande camaraderie, de robustes liens fraternels et une entraide quotidienne.

Ainsi, l’ambiance et l’univers sont sombres, sans submerger le lecteur. La campagne nous est rapportée par l’annaliste de la Compagnie tel un compte-rendu régulier. Le rôle de Toubib est crucial pour le moral des hommes, les annales constituent l’essence même de cette unité d’élite. Il rapporte consciencieusement les anecdotes amusantes,  l’état d’esprit de ses camarades, les chamailleries,  rend compte des morts et des circonstances des décès et chronique les batailles menées et leur issue. Nous avons un récit très personnel incluant ses états d’âmes, ses confidences, ses espoirs ou ses fantasmes à propos de la Dame.

Les annales en elle-même jouent un rôle fondamental pour la Compagnie Noire. Elles honorent l’histoire et la mort des hommes qui l’on constituée, tout en leur offrant une forme d’immortalité. Elles sont un liant extraordinaire et vital pour le moral, la tenue et l’honneur de la troupe. Les Annales sont l’âme de La Compagnie Noire.

Des personnages principaux  – auxquels mieux vaut ne pas trop s’attacher car la mort frappe gaiement – Toubib est logiquement le plus en vue et tangible parmi les mercenaires. Les autres protagonistes bénéficient d’un soin d’écriture du moment qu’ils interviennent régulièrement (Corbeau, Qu’un Œil, Gobelin,..) les autres sont plus en retrait et du coup moins en chair (Elmo, Les Dix, Chérie,…), cela n’est en rien gênant pour le lecteur qui suit avidement le récit des batailles et différentes péripéties.

Le ton et le langage sont brut de fonderie, pas de langue châtiée et précieuse ici. Ce côté rugueux donne du crédit à l’histoire et renforce la crédibilité des propose et permet une meilleure immersion dans l’aventure. J’ai été conquise par l’ambiance, le ton plausible de l’annaliste qui ne tombe jamais dans l’angélisme et qui évite le piège d’un cynisme facile.

La Compagnie Noire une œuvre de dark fantasy de référence qui ne tombe dans aucun excès, ni dans la caricature du toujours plus de sang, plus de violence, ou plus de cynisme. En revanche, le lecteur qui est à la recherche d’un bel elfe longiligne, lumineux ou chevaleresque parcourant une forêt millénaire et ensorcelante y perdrait des plumes ou un chaste enthousiasme.

Albédo

Publié le 4 novembre 2016