On ressort de ce livre comme d’un film de David Lynch ; le
rapprochement avec Lost Highway est d’ailleurs introduit par Fabrice
Colin à plusieurs reprises. Deux réalités, chacune très changeante sont
présentées et la tentation de les superposer, de les recouper est
toujours frustrante. On se raccroche à quelques indices (la parenté
Estel/Stella, l’impuissance de Kenneth et la toute-puissance du
samouraï, etc.), on croit voir dans une partie la réécriture
fantasmagorique comme une compensation de l’autre mais il reste des
zones inexplicables, des sables mouvants qui engloutissent toute
tentative de rationalisation. On s’est fourvoyé, on était pourtant
prévenu dès la page 43 par l’explication donnée par le docteur Lazare :
" Le travail du romancier […] consiste à fixer sur papier une matière
toujours en mouvement. Certains donnent à cette matière le nom quelque
peu galvaudé de réalité. " On assiste à un questionnement paranoïaque
et à ce titre dickien, le conflit sino-américain évoquant aussi le
présupposé de départ du Maître du Haut-château, sur la notion de
réalité.
[...]
Fabrice Colin s’amuse avec les clichés des films d’aventure américain (la réplique Sayonara Baby est tirée de Terminator)
et rend avec une acuité exceptionnelle l’expérience vertigineuse et
douloureuse de vie et de mort, aux antipodes d’un prédictible scénario
hollywoodien. Il défie son lecteur de lâcher ses repères et de le
suivre dans un flash éblouissant dont le prix peut être l’overdose.
Congratulations Colin-san.
Nathalie Ruas, ActuSF