Or not to be est une expérience littéraire vertigineuse où rien n’est jamais acquis. C’est un roman qui bouscule les frontières du réel et de l’imaginaire et jette le lecteur dans un labyrinthe halluciné et hallucinogène.

Or not to be - L'épaule d'Orion
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À la suite de Sayonara Baby de Fabrice Colin, et toujours en préparation de la lecture de son nouveau roman à paraitre dans la collection Le Rayon Imaginaire début octobre sous le titre Golden Age, j’ai lu Or not to be de l’auteur. Robert Louit, traducteur de J.G. Balard et de Philip K. Dick, disait de la spéculative-fiction de ces deux auteurs qu’elle « penchait plutôt du côté de Freud que d’Einstein ».  C’est dans cet élan, devenu mouvement littéraire avec la New Wave des années 60 et 70, que s’inscrit Fabrice Colin. C’était le cas de Sayonara Baby, ça l’est encore de Or not to be.

Nous sommes en 1923, et Vitus Amleth de Saint-Ange, pensionnaire depuis sept ans de l’institution d’Elisnear Manor suite à une tentative de suicide, apprend le décès de sa mère. Il s’enfuit pour rejoindre Londres. Vitus est décrit par son psychiatre, jeune docteur américain intéressé par des nouvelles approches dans le traitement des malades, comme un cas pathologique n’offrant que peu de chance de rémission. Il souffre d’amnésie, ayant occulté tout souvenir après l’âge de sept ans, d’un fort complexe œdipien, et d’une obsession délirante pour les œuvres de Shakespeare depuis l’enfance. Plus encore, il est persuadé que le dramaturge, qu’il appelle le barde, communique avec lui par visions et rêves. Son retour à Londres, dans la maison de sa mère, sa rencontre avec son oncle, ne va faire que raviver des souvenirs dont il ne veut pas, qu’il ne peut assumer, et rejette. Face à une quête d’identité impossible car insurmontable, c’est donc naturellement qu’il va se tourner vers Shakespeare et partir sur les traces du barde, jusqu’au village de Fayrwood dans le nord de l’Angleterre, où le dieu Pan habite encore les forêts. Il va tenter de comprendre, selon ses termes, comment Shakespeare était devenu l’égal des Dieux. Là, la trame du réel va rapidement se disloquer pour laisser la place au fantastique.

Vitus étant le narrateur de son propre récit, Or not to be est un objet littéraire expérimental. Le point de vue autodiégétique d’un esprit fortement perturbé par ses obsessions et ses biais cognitifs poussant à la fuite en avant donne lieu à une déconstruction du récit classique. En plus de briser la structure et la chronologie, Fabrice Colin multiplie les formes narratives autant que les registres, passant du récit au journal, de la poésie lyrique à la pièce de théâtre en actes au moment où le théâtre cartésien (concept que j’emprunte à Daniel Dennett) du narrateur s’écroule sous son propre poids. Il joue des ambiances, sautant de la mélancolie à l’horreur fantastique en quelques pages, offrant au passage au lecteur l’épisode d’un repas de famille qui n’a rien à envier au Festen de Thomas Vinterberg, ou celui de la confession d’un prêtre qu’un certain marquis n’aurait pas reniée. C’est ainsi toute une discussion sur les liens entre les tourments de l’âme et l’art qui s’engage dans ces pages, entretenue par la plume aussi sauvage qu’experte de Fabrice Colin.

Or not to be est une expérience littéraire vertigineuse où rien n’est jamais acquis. C’est un roman qui bouscule les frontières du réel et de l’imaginaire et jette le lecteur dans un labyrinthe halluciné et hallucinogène. Je peux reprendre ici à l’identique les derniers mots que j’avais écrits au sujet de Sayonara baby : Fabrice Colin déroule une ligne débridée et il le fait sans se retourner pour voir si vous suivez. Au lecteur de la saisir, ou de la laisser filer, et de cliver les couches de surréalité.

Publié le 1 décembre 2022

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