Après un premier tome prometteur consacré à la fin du règne d’Elizabeth Tudor, Marie Brennan poursuit son exploration de l’histoire de la ville de Londres avec ce second tome de « La cour d’Onyx ». Nous sommes cette fois au milieu du XVIIe siècle, alors que l’Angleterre connaît une période de crise sans précédent. La tension entre le roi et le parlement ne cesse de croître à mesure que le premier tente d’imposer un régime de plus en plus autoritaire tandis que le second entend au contraire affermir son pouvoir de contrôle sur la monarchie. La situation finit par tellement se déliter qu’elle aboutit au bout de quelques années à une véritable guerre civile opposant les partisans de la monarchie et ses opposants. C’est ce qu’on appelle la « première révolution anglaise » qui verra la chute de la monarchie et l’avènement d’un des personnages les plus emblématiques de l’histoire de l’Angleterre : Oliver Cromwell. En parallèle à ces troubles chez les mortels, on assiste également aux nombreuses crises que traversent les Faes de la cour d’Onyx, et notamment leur souveraine, Lune. Or, entre la menace que fait peser sur elle la reine écossaise (qui n’a de toute évidence toujours pas digéré l’exécution de Marie Stuart) et les traîtres au sein même de sa cour qui ne supportent pas sa politique tolérante à l’égard des mortels, la reine des Faes a fort à faire pour se maintenir sur son trône. La période évoquée dans ce deuxième opus est sans doute moins connue outre-manche que celle mise en scène dans « Minuit jamais ne vienne », mais c’est justement l’une des raisons pour lesquelles elle se révèle plus passionnante encore. Ce second tome s’avère d’ailleurs dans l’ensemble meilleur que le précédent (pourtant déjà très prometteur) puisque Marie Brennan est parvenue à gommer les principaux défauts qui pouvaient nuire au premier opus : le déroulement de l’intrigue est moins prévisible, et le récit bien mieux rythmé. Le roman est aussi plus dense et plus complexe que son prédécesseur, et on retrouve avec joie la même ambiance crépusculaire et la même noirceur qui caractérisaient le début de la série.
Comme pour le précédent tome, la première chose qui frappe et séduit le lecteur est sans aucun doute la qualité et la minutie de la reconstitution historique de l’époque. Marie Brennan se concentre cette fois sur la période comprise entre 1639 et 1666, soit près de trente ans d’histoire particulièrement mouvementée dont l’auteur nous dépeint les principaux événements. On assiste ainsi à l’essor du courant puritain, à la montée des tensions entre le roi Charles Ier et son Parlement (qu’il dissoudra plusieurs fois avant d’estimer pouvoir régner sans lui), puis à la guerre civile qui en découla et à l’accession au pouvoir de Cromwell, et enfin à la restauration de la monarchie avec le retour de Charles II. Le lecteur voit donc défiler un pan important de l’histoire de l’Angleterre et surtout de sa capitale puisque l’essentiel de l’action se situe dans (et sous) la ville de Londres. L’auteur s’attarde notamment sur les différents fléaux que la capitale eut à affronter à cette époque : la guerre civile, la grande peste de 1665 et surtout le grand incendie de 1666 qui dura quatre jours et ravagea presque la totalité de la City ainsi que la cathédrale Saint-Paul (sans compter un nombre important de maisons et de boutiques). On peut dire que les Londoniens en auront bavé ! Là encore il est évident que l’auteure a procédé a de minutieuses recherches et s’est appuyée sur des sources de l’époque tant les descriptions des réactions des habitants et des moyens mis en œuvre pour contenir épidémie et incendie sont précises. On en apprend également beaucoup sur l’organisation du système monarchique anglais : le rôle des différentes chambres du Parlement, l’origine des tensions avec la monarchie… Un seul point m’a posé problème : le point de vue politique défendu avec ferveur par l’un des protagonistes sans qu’aucun autre point de vue ne vienne le nuancer. Il est en effet un peu agaçant de voir ce dernier non seulement fustiger les parlementaires qui s’en prennent « aux racines mêmes de la souveraineté » (ils osent s’arroger le droit de contrôler les revenus de l’état et de surveiller les conseillers du roi, vous imaginez !), mais surtout présenter le peuple comme une foule versatile que les puissants peuvent manipuler à leur guise pour renverser ou restaurer tel ou tel régime (tout en admettant qu’ils n’en retireront aucun intérêt quelque soit l’issue).
Le roman de Marie Brennan n’est toutefois pas qu’un récit historique puisqu’il entremêle ces événements réels à une histoire parallèle dans le monde de faerie. La cour d’Onyx étant intimement liée à celle des mortels, le règne de la reine Lune est par conséquent lui aussi marqué par de nombreux bouleversements qui font directement échos à ceux ayant lieu « à la surface ». La construction narrative choisie par l’auteur est d’ailleurs intéressante et permet de comprendre l’étroitesse des liens qui unissent les deux mondes. Le roman mélange ainsi plusieurs temporalités : les chapitres les plus longs racontent les événements ayant eu lieu entre 1639 et 1665 (la guerre civile, la révolution et finalement la restauration) mais ceux-ci sont entrecoupés de chapitres plus courts consacrés au grand incendie de Londres de 1666. Le lecteur connaît donc déjà ce qui va se produire (dans les grandes lignes), tout le suspens résidant dans la manière dont les personnages vont se retrouver dans cette situation. Bien que périlleux, le procédé se révèle efficace et permet malgré tout d’entretenir le suspens : comment Lune s’est-elle retrouvée dans cette situation ? Pourquoi tel personnage est absent et tel autre de retour alors qu’il avait été exilé ? Autant d’interrogations qui poussent le lecteur à enchaîner les chapitres à vitesse grand V. Si on se passionne pour les rebondissements qui rythment le quotidien de la cour d’Onyx, le plus intéressant reste malgré tout la composition même de cette cour. L’auteur fait à nouveau appel à un bestiaire très fourni qui permet de découvrir des créatures parfois méconnues du folklore anglais. Outre les farfadets, les hobs et les brownies, on côtoie aussi des kelpies, des fuath (esprit des eaux) ou encore des figures emblématiques de l’imaginaire britannique comme la Cailleach Bheur (la reine de l’hiver) ou bien Père Tamise ou Meg dent-noire. Comme dans le premier tome, l’auteur joue sur le contraste entre des créatures qu’on associe plus volontiers à un environnement rural et un décor au contraire exclusivement urbain où les liens entre faes et mortels sont évidemment plus étroits. Tout le récit tourne d’ailleurs autour du rapport ambiguë qu’entretiennent les deux mondes, les faes étant partagées entre fascination et dégoût à l’égard des mortels dont ils font tour à tour leurs marionnettes ou leurs égaux.
Après un premier tome prometteur, Marie Brennan poursuit son histoire de la cour d’Onyx avec un deuxième opus encore plus abouti que le précédent. Que ce soit au niveau de la reconstitution historique, de l’utilisation du folklore anglais ou de la construction même de l’intrigue, l’auteur maîtrise son récit de bout en bout et nous offre une histoire sombre, dense et pleine de surprises. Le troisième tome sera consacré au XVIIIe, et j’attends sa traduction avec impatience.