Durant le festival des Utopiales 2024, Stéphanie Chaptal (De l'autre côté des livres) et Sylvie Gagnère (Présence d'esprits) ont rencontré John Scalzi, auteur américain de sience-fiction.
Comment avez-vous découvert la science-fiction ?
Je dirais que j’étais surement au quatrième grade (NDLR Équivalent du CM1 en France), donc je devais avoir huit ou neuf ans ? La bibliothèque de mon école avait un livre de Robert Heinlein : Farmer in the Sky (Pommiers dans le ciel). C’est le premier livre de science-fiction en particulier que je me rappelle avoir lu. Puis j’ai lu A Wrinkle in Time (Un raccourci dans le temps) par Madeleine L’Engle et d’autres livres dans le style. En pratique, j’en lis depuis près de cinquante ans. Certes, je lis d’autres livres, mais c’est le genre auquel je reviens toujours.
Vous êtes un écrivain et un lecteur, mais consommez-vous également de la science-fiction à travers d’autres médias ?
Bien sûr. J’ai été voir Star Wars quand j’avais huit ans. Au moment de sa sortie, je crois ? Je me souviens, j’avais huit ans et je voyais ces vaisseaux filants « zoom » et puis ces « boom » très grands vaisseaux qui ne cessaient d’arriver. Et j’étais juste sidéré. Et je me souviens très bien d’avoir regardé Star Trek et Space 1999 (Cosmos 1999) et d’autres choses dans le genre à la télévision. Et bien sûr, je joue à des jeux vidéos depuis les années 1970, et depuis Space Invaders j’y ai joué. Ce qu’il faut remarquer c’est que la science-fiction est devenue inévitable. Vous ne pouvez pas avoir un peu de culture générale et ne pas en avoir entendu parler. Vous ne pouvez pas l’éviter. Il n’y a personne de mon âge (NDLR John Scalzi est né en 1969) ou de plus jeune qui ne sait pas qui est Darth Vader. Il n’y a personne de mon âge ou plus jeune qui ne sait pas qui est Spock. Ils font juste partie de l’air que nous respirons, de notre environnement. Donc oui, la science-fiction a toujours fait partie de ma vie.
Que pensez-vous de l’évolution de la SF dans toutes ses grandes variations depuis l’époque où vous étiez enfant à aujourd’hui ? Depuis quelque temps, le fandom est agité de débats où certains (Gamergate, Sad Puppies…) regrettent que la SF soit devenue politique…
C’est une croyance générale, et pas seulement concernant la science-fiction, mais s’appliquant à tout qu’il y avait une époque où tout était innocent et pur. Cette période se situe généralement vingt ou trente ans avant que la personne commence à lire. Concernant les comics qui n’auraient pas été politiques avant, il y a une anecdote sur Jack Kirby, qui a créé Captain America. Une fois, des nazis sont venus dans les locaux où il travaillait en menaçant de lui botter le cul. Sa réponse ? Il est descendu à leur rencontre une batte à la main (NDLR Anecdote rapportée par Mark Evanier dans sa biographie Kirby: King of Comics parue en 2008). Cette idée comme quoi il ne faisait pas de politique est absurde. L’idée que les X-Men n’ont jamais été politiques est complètement ridicule… Il n’y a jamais eu de périodes où la science-fiction n’était pas porteuse d’un message politique ou sociétal. La preuve ? Il suffit de lire la toute première histoire de science-fiction, Frankenstein. Quel livre merveilleux ! Et il nous parle de l’hubris de l’être humain. De la responsabilité qu’ont les humains vis-à-vis de leurs créations et des conséquences quand nous ne répondons pas aux besoins de nos créations qui, dans ce cas précis, deviennent folles. Mais la vraie leçon de tout cela que toute personne disant que la science-fiction n’a pas à être politique ou ne l’était pas avant, se révèle être une personne qui a une approche très superficielle du genre. Cette approche a aussi toujours été là. Il y a toujours été question d’évasion, d’aventures et de toutes sortes de choses qui, à première vue, ne sont pas politiques, métaphoriques ou que sais-je encore. Beaucoup d’œuvres de science-fiction ont été créées parce que quelqu’un avait besoin de manger. Mais de fait, il y a toujours eu de la science-fiction politique. L’idée, pour revenir aux Sad Puppies, derrière leur demande de « nous voulons des choses qui ne sont pas politiques ! » est que, dans leur cas particulier, ils veulent une science-fiction dont la politique et le point de vue sociétal s’alignent avec le leur. Cela a toujours été le cas, et si vous le voulez, vous en trouvez toujours. Ils en produisent, d’autres en produisent. Ils étaient en colère, car ce n’était plus ce qui était massivement publié en science-fiction aux USA en particulier. Pourquoi ? Parce que la science-fiction est devenue populaire. Elle touche un public bien plus large qu’auparavant. Cela a commencé avec les films, puis avec la télévision et les jeux vidéo. Ensuite, la littérature de science-fiction a suivi le mouvement et est devenue plus diversifiée. Au final, le problème pour eux n’était pas qu’ils ne trouvaient plus ce qui leur plaisait, mais ils étaient offensés que d’autres types de science-fiction existent. Des œuvres qui n’avaient pas été faites en pensant spécifiquement à leurs gouts. Et que ces œuvres étaient celles qui plaisent aux critiques et aux lecteurs parce qu’elles faisaient ce qu’est censée faire la science-fiction : vous présenter de nouvelles idées, de nouveaux concepts, de nouvelles façons de penser. Et ils ne veulent pas de nouvelles façons de penser. Ils veulent les anciennes bien connues sans se remettre en question. Et en dessous, il y a également le racisme, le sexisme, l’homophobie et tout le reste. Cela va avec le sentiment que de nombreux hommes blancs hétéros ont qu’ils ne devraient pas être mis en concurrence avec des gens qui ne sont pas comme eux. Mais eh, mec, nous ne sommes plus dans les années 1950 !
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