Quand Honor se féminise

Du côté des traducteurs
21 juin 2018

« Le lieutenant Jane Smith entra. Elle était fatiguée. » Ah, non, se dit le traducteur, ça ne va pas. Le sujet de la phrase est « Le lieutenant Jane Smith », donc masculin. Bon, alors, reprenons : « Le lieutenant Jane Smith entra. Il était fatigué. » Oui, mais c’est une femme, ce lieutenant, c’est tout de même ennuyeux de le désigner par « il ».

Et, dans tous les romans de David Weber, en collaboration ou non avec Eric Flint, le même problème surgissait à chaque page ou presque. Les auteurs écrivant en anglais n’ont jamais eu besoin de se poser cette question, mais la grammaire française a des règles inflexibles. Devait-on la respecter strictement ou était-il préférable de la contourner un peu ? Le lieutenant Jane Smith devait-il être fatigué ou devait-elle être fatiguée ? C’en devenait fatigant. À force d’y réfléchir, il nous est toutefois apparu qu’existait une solution des plus simples : « La lieutenante Jane Smith entra. Elle était fatiguée. » 

Et le tour était joué. Plus d’erreur grammaticale ni d’ambiguïté de genre. Ainsi a-t-il été décidé de féminiser tous les grades militaires dans les prochains volumes de l’Univers d’Honor Harrington. Après tout, notre époque d’égalité des sexes voit la féminisation de nombreux termes naguère réservés aux hommes, donc pourquoi pas ceux-là ? D’autant que, dans cette armée d’un lointain futur, à la mixité absolue, les femmes fortes et compétentes créées par David Weber n’auraient pas manqué d’exiger depuis longtemps cette évolution de la langue. On parlera donc désormais de soldates, de sergentes, de commandantes ou de générales. Le lecteur en sera peut-être un peu surpris au début, mais il s’y habituera sûrement très vite. Et, après tout, dans le cadre d’une série de science-fiction qu’on peut légitimement qualifier de féministe, serait-il logique d’emporter dans l’espace les archaïsmes déjà dépassés d’une vieille société patriarcale ? « Et puis quoi encore ? » répondit l’amirale Honor Harrington, ravie du choix de son éditeur français.

Michel Pagel