Nous sommes ici pour saluer le retour de John Scalzi au space opera qui l’avait révélé avec Le Vieil Homme et la Guerre – youpi ! si vous le permettez ;-)
Youpi, parce que s’il y a bien une chose qui caractérise fondamentalement Scalzi, c’est l’humour. Or nos sciences-fictions spatiales toutes imbues de l’importance de leur sujet m’en semblent trop souvent dépourvues. Pourtant, quoi de plus sérieux qu’un empire et son destin ? Tel est l’enjeu de cette nouvelle série de l’auteur, à l’image de nombre d’autres sagas de space opera plus ou moins inspirées de nos propres empires historiques fondés sur la marine à voile.
La bataille de la baie de Quiberon, Nicholas Pocock, 1812. National Maritime Museum
Doit-on alors s’attendre à un texte un peu sérieux de John Scalzi ? Rassurez-vous, la satire, la farce et le bon mot ont toujours droit de cité chez l’auteur. Sinon Scalzi ne serait plus Scalzi, et de toute façon Scalzi essayant de faire du Herbert par exemple ne pourrait que mener à la catastrophe (véridique). En parlant de catastrophe, c’est bien à cela qu’on s’apprête à assister : l’effondrement de l’Empire. En tout cas, telle est la promesse du titre.
Pff ! Des empires stellaires, mais mon pôvre ami c’est d’un banal… Et à la fin, ne se ressemblent-ils pas tous un peu ? Le modèle xvii-xviiie siècle des nations conquérantes dotées de l’outil de la marine à voile a bon dos ! Eh bien, non. Vous savez la fascination de l’auteur pour la satire et le bon mot ? Pour aller vite, on pourrait dire que cet empire a été fondé par une (!) prophétesse*, sur un principe politique ** pour asseoir le pouvoir d’un clan *** dirigé par **** !
L’Interdépendance, tel est à la fois le nom et le principe sur lequel est construit l’empire. Cela consiste simplement à spécialiser chacune des colonies humaines au point qu’aucune d’entre elles ne peut survivre sans les autres. L’argument a déjà été avancé à l’orée de la Première Guerre mondiale, qui correspondait à la première mondialisation du commerce censée empêcher tout conflit entre des hommes, tous frères et sœurs. On a vu comment ça s’est fini.
Ça a l’air idiot, non ? Reconnaissons cependant que la conquête de l’univers ne s’est pas passée comme prévu. Déjà, l’humanité n’est parvenue à atteindre les étoiles qu’en prenant des sortes de « courants », appelés le Flux, sur lesquels elle n’a aucun contrôle, rappelant en cela le drôle de voyage spatial de l’opus précédent de John Scalzi, où l’humanité atteignait certes les étoiles mais dans une autre dimension ! Y aurait-il toujours une sorte d’arnaque dans les univers de Scalzi ? Cela correspond bien au personnage, en tout cas.
Hélas ! À une exception près, le Flux n’a mené jusqu’à présent qu’à des systèmes stellaires inhospitaliers où l’humanité s’est néanmoins installée, soit sous terre, dans des dômes ou dans d’immenses stations ou habitats spatiaux. À quelques centimètres d’une mort certaine par asphyxie, empoisonnement, radiation ou décompression explosive !
Fondé sur des monopoles commerciaux étanches, des habitats fragiles fortement dépendants les uns des autres et une religion d’État bonhomme pour cimenter le tout, l’empire s’est révélé étonnamment stable pendant plus d’un millénaire. Il est pourtant sur le point de tomber, mais sans que cela lui soit imputable. La stabilité du Flux n’était qu’une illusion. La grande force de l’empire risque de signer la mort de milliards d’individus, sauf à faire de la seule planète habitable connue, Le Bout, le dernier refuge de l’humanité.
Mais la stabilité de l’empire est aussi sa plus grande faiblesse. Que pèsent les théories scientifiques, les signes avant-coureurs d’une catastrophe, lorsque celle-ci remettrait tellement en question les positions établies ?
C’est à la nouvelle emperox, une jeune universitaire élevée à l’écart de la cour, que reviendra la lourde tâche de sauver non pas l’empire mais ses citoyens.
La galerie de personnages est toujours aussi savoureuse, avec une mention spéciale pour les rôles féminins. On a l’héritière de la maison Lagos, à l’esprit acéré, sans complexes, et dont le comportement vis-à-vis des hommes est d’une rafraîchissante, et inquiétante, symétrie ! On a bien sûr l’emperox, dont la personnalité ne crève pas l’écran (ou la page), mais qui, grâce à une tranquille confiance en soi, fait de vrais choix dans son magistère. Enfin, le cerveau derrière la manipulation de l’empire est également une femme, à la tête d’une maison concurrente et prête à beaucoup de choses afin de s’assurer un pouvoir encore plus grand.
Ce premier roman met donc en place un univers original, déploie une intrigue à hauts enjeux et fait apparaître les premiers craquements annonciateurs de la fin. Mon tout est agrémenté du ton pince-sans-rire caustique propre à l’auteur et se révèle très agréable à lire.
Mon tout est une recommandation de lecture, bien sûr !
Alain Kattnig
*&**&***&**** N’espérez pas qu’on vous raconte tout ! Et puis il y a des gens qui sont morts pour moins que ça… Tenez, par exemple : Un scientifique russe a "tenté de tuer" un collègue de la station de recherche antarctique "parce que l’homme ne cessait de donner les fins des livres qu’il lisait"
L’un de ces hommes a tenté d’en tuer un autre.