Guy Gavriel Kay ou « Ils sont trop forts chez Elbakin.net ! »

17 octobre 2013

Guy Gavriel Kay a eu une histoire éditoriale assez compliquée en France en multipliant les éditeurs.

Mais je crois bien que c’est Pygmalion qui a tiré le premier (1996) en éditant la série la plus fantasy de l’auteur : je veux bien entendu parler de la « Tapisserie de Fionavar ». Déjà, Kay s’y inspirait énormément des contes et légendes celtiques et nordiques, ce qui devait devenir une marque de fabrique de l’auteur et évoluer vers la réinterprétation de civilisations complètes, souvent fort différentes de l’atmosphère médiévalo-européenne adoptée par la quasi-totalité des fantasy produites. Mais ne quitte-t-on pas qu’à ses dépens la zone de « confort » des lecteurs ? Fi donc ! Kay est là pour vous faire découvrir d’autres mondes, d’autres mœurs, d’autres civilisations, et quelle meilleure façon pour cela que de s’inspirer de l’étrangeté incroyable… qui nous entoure déjà ? Certes, mais, ce faisant, Guy Gavriel Kay ne se situe-t-il pas finalement dans une forme de roman historique, puisque de toute façon ce genre ne peut non plus garantir une quelconque vérité historique ? Pour tout vous dire, je ne le crois pas, car les lecteurs veillent ! Allez donc raconter des âneries historiques dans votre romance au temps de l’Égypte ancienne et vous ne mettrez que les rieurs… de votre côté.

Guy Gavriel Kay s’est tout simplement accordé une plus grande liberté que l’auteur de roman historique en ne reprenant à son compte que l’essence de la civilisation en question. Tout le reste tombant sous la licence de l’écrivain lui-même. Ambitieux, non ? Voici notre écrivain aux prises avec l’Italie de la Renaissance dans Tigane, la Provence à l’époque des Cathares dans La Chanson d’Arbonne et l’Espagne à l’époque du Cid dans Les Lions d’Al-Rassan. Plus tard, chez d’autres éditeurs, ce fut La mosaïque de Sarance sur l’empire Byzantin à l’époque de l’empereur Justinien puis Le Dernier Rayon du soleil à l’époque des invasions Vikings de l’Angleterre. Et puis, quelque chose de très différent – il y a un siècle on aurait dit un roman fantastique, aujourd’hui on dit « Urban Fantasy » –, un court roman, Ysabel, situé de nos jours en Provence autour de la très riche histoire de la région et de l’incarnation d’une rivalité amoureuse millénaire. Bonne pioche, puisque ce roman a décroché le World Fantasy Award en 2008. Mais ce ne fut pas la voie dans laquelle Kay persévéra car en 2010 parut un projet sur lequel il avait déjà investi beaucoup de temps : « Under Heaven » ou la première incursion de Kay en dehors des civilisations occidentales, en l’occurrence la Chine !

Ce livre est servi par une couverture absolument magnifique… ce qui est normal, le livre est également magnifique, tout simplement. L’émerveillement est constant, du moins pour ceux qui n’ont pas une connaissance intime des civilisations asiatiques, car nos croyances instinctives sont en permanences heurtées, bousculées par une philosophie de la vie différente. Les règles de l’honneur sont différentes, le statut des poètes très élevé et le respect des ancêtres bien plus puissant qu’ici-bas.

Et me croirez-vous si je vous dis qu’un des ressorts du roman est la survie du héros au cadeau impérial que lui fait le plus honorable ennemi de l’empire de Kitai ? Car que faire d’un cadeau dont seul le Fils du Ciel est digne ? Mais cette plongée dans l’âme chinoise n’est pas pour tout de suite, au mieux juin ou août 2014.

Par ailleurs, l’honnêteté m’impose de vous dire que, hélas, je n’ai pas l’exclusivité de cette nouvelle, le site Elbakin.net et ses redoutables limiers avaient eu vent de l’affaire, d’où le titre de ce billet : « Ils sont trop forts chez Elbakin. » Certains d’entre eux se sont même plaints dans leur forum de l’inintérêt apparent des éditeurs français pour Guy Gavriel Kay ; je m’insurge ! Il n’en est rien ! C’est une malencontreuse combinaison de changement d’agents et d’offre concurrente n’ayant pas abouti qui nous a conduits à n'éditer ce livre que fort tardivement. Dernier point, mais pas le moindre, l’actrice chinoise Zhang Ziyi ayant été emballée par le livre de Kay, elle a signé personnellement avec lui pour produire et jouer le premier rôle féminin. Mais ne nous emballons pas, cet accord a été finalisé en mai 2012 et il faut souvent de longues années pour que de tels projets voient le jour.

Voilà, c’est tout pour le moment, il ne me reste plus qu’une chose à dire : Welcome, Mister Kay. 

Alain Kattnig