Entretien de Pierre Bordage – Actusf

13 octobre 2020

Actusf : Rive Gauche, est paru il y a peu aux éditions L’Atalante. Quelle est l’origine du projet ? Est-ce une suite à Métro 2033 créé par Dmitri Glukhovski ? Un roman indépendant ?

Pierre Bordage : Le projet vient d’une discussion avec Dmitri Glukowski à Saint-Malo, me disant qu’il ouvrait son univers à d’autres auteurs, et qu’il aimerait beaucoup que j’écrive un roman dans l’univers de Métro 2033, mais dans le métro de Paris.
Au début, je n’ai pas vraiment creusé l’idée, puis, à la lecture du premier tome de sa trilogie, me sont venues tellement d’envies et d’images que j’ai décidé de répondre à son invitation. Ce n’est pas une suite à l’œuvre de Dmitri, mais un roman totalement indépendant, qui peut se lire même sans avoir lu Métro 2033 Moscou.

Actusf : Pouvez-vous nous dire quelques mots sur l’intrigue ?

Pierre Bordage : Les descendants des rescapés de la catastrophe nucléaire se sont organisés tant bien que mal dans les galeries du métro parisien. Ils ont tout oublié de la surface, devenue un mythe. Les stations de Rive Gauche sont soit indépendantes, dirigées par des conseils, soit regroupées en statiopées, dont les plus puissantes sont Montparnasse, ou Élévation, et Petit Chine, ou Italie.
Une femme, la présidente de la statiopée Bac, Madone, souhaite unifier l’ensemble des stations en une seule entité, la Fédération Rive Gauche, pour une meilleure répartition des ressources (espace, eau, nourriture, bougies, allumettes et tout ce qui peut éclairer…) et une plus grande sécurité pour l’ensemble de la population. Elle entreprend un périple pour tenter de rallier les autres stations à son projet. Mais de nombreux obstacles se dressent sur son chemin.
Pendant ce temps, Juss, un adolescent débrouillard, et Plaisance, une fillette, une mutante nyct (nyctalope), tous les deux membres de la bande des Armuriers, des nomades qui recherchent les objets les plus recherchés de l’ancienne civilisation, dont les armes à feu, échappent à l’extermination de leur clan et découvrent de nouveaux passages et des créatures inattendues dans le réseau souterrain. Dans l’obscurité perpétuelle de Rive Gauche, s’agitent d’autres personnages avides de pouvoir, comme Parn, Pasteur à la tête d’Élévation, une religion inquiétante, son secrétaire Augir, le mandar de Petite Chine Ta Li, la conseillère parnassienne Otre ou encore Aube, une espionne qui se livre à un double ou triple jeu…

Actusf : De nombreux personnages importants sont des femmes. Pouvez-vous nous dire pourquoi ? Pensez-vous que celles-ci sont plus à même de gérer des situations de crise, de survie au quotidien ?

Pierre Bordage : Les personnages me sont venus naturellement, comme dans chacun de mes romans. S’il y a des femmes importantes, dans Rive Gauche, ce n’est pas par volonté ni pour montrer à celles et ceux qui trouvent que je les maltraite dans d’autres œuvres qu’ils ont eu tort, c’est seulement parce qu’elles se sont présentées à moi et que j’ai eu envie de les suivre. Et, vous avez raison, sans doute qu’elles se montrent nettement plus déterminées dans les situations de crise et dans l’organisation de la survie en temps de pénurie. Je me suis seulement appliqué à explorer en toute liberté leurs forces et leurs faiblesses, leurs aspirations et leurs béances.

Actusf : Comment avez-vous crée Madone ? Aviez-vous des modèles ?

Pierre Bordage : Non, pas de modèle conscient en tout cas. Je vous renvoie à la réponse précédente : c’est elle qui s’est imposée à moi. C’est une femme forte, intelligente, mûre, qui a forgé son caractère dans ses combats pour accéder au pouvoir, mais qui garde des fragilités sur le plan affectif et qui doute encore parfois d’elle-même.

Actusf : Les combats pour la survie sont féroces. Est-ce que selon vous « la fin justifie les moyens » ?

Pierre Bordage : La faim justifie les moyens, pourrait-on dire. La survie nous renvoie à l’instinct animal. La peur, l’absence de perspectives, l’obscurité perpétuelle, l’enfermement dévoilent le meilleur et le pire de chaque être humain.

Actusf : Les rejetés de l’ombre sont des mutants. Aviez-vous envie de faire un parallèle avec ce qui se passe de nos jours et notamment le racisme ?

Pierre Bordage : Les personnages mutants, nycts, dvinns, vibs, taups, engendrent la peur d’abord par leurs différences, surtout les dvinns avec leurs énormes têtes, mais il préfigurent une humanité nouvelle, une forme d’évolution qui effraie parce qu’elle en fait des êtres sans doute mieux adaptés à leur monde et donc, potentiellement dangereux pour les autres. La peur de la différence renvoie au racisme, évidemment, mais plus généralement, à toute forme d’incompréhension et de rejet de l’autre.

Actusf : Les passages sur la religion sont très sombres, presque horrifiques. Est-ce que cela s’est imposé à vous dès le départ ou est-ce que l’histoire a évolué ainsi ?

Pierre Bordage : L’histoire l’a voulu ainsi. Élévation est une religion sombre dans un univers sombre. Les cérémonies d’élévation sont horribles parce que les corps des condamnés ramenés de la surface témoignent d’un monde invivable, horrible.
Le Pasteur Parn est un homme odieux, qui pressent le danger représenté par les mutants et décide de mener une croisade contre eux. Son secrétaire Augir apparaît quant à lui comme une araignée tissant ses toiles dans l’obscurité, moins brutal mais tout aussi dangereux que le Pasteur.

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